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Œuvres-Descriptif-Bibliographie

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45 €

LIVRE-AUTEUR

1856 pages
(dont 424 de facsimilés)
557 images
Format : 16,7 x 21,6 cm
Reliure souple
ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

Édition établie et présentée par
Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
Jean-François Chevrier

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Bibliographie
La bibliographie de Fernand Deligny. Œuvres mentionne également les articles, les traductions, les entretiens, la correspondance publiée de Deligny.

Pavillon 3, Éditions de l’Opéra, 1944.
Repris dans Les Vagabonds efficaces et autres récits, avec une préface d’Émile Copfermann, Paris, François Maspero, coll. « Les textes à l’appui », 1970 ; coll. « FM/petite collection maspero », 1976 ; dans Graine de crapulesuivi de Les Vagabonds efficaces, avec une préface d’Isaac Joseph, Paris, Dunod, 1998, 2000. 
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

Graine de crapule, Lille, Victor Michon, 1945 ; Paris, Éditions du Scarabée, 1960.
Régulièrement réimprimé aux Éditions du Scarabée. Repris dans Graine de crapule suivi de Les Vagabonds efficacesop. cit.  
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

Puissants personnages, Lille, Victor Michon, 1946 ; Paris, François Maspero, coll. « Malgré tout », 1978.

Les Vagabonds efficaces, Paris-Lille, Victor Michon, coll. « Tentatives pédagogiques », 1947.
Repris dans Les Vagabonds efficaces et autres récitsop. cit. ; dans Graine de crapule suivi de Les Vagabonds efficacesop. cit.
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

Les Enfants ont des oreilles, Paris, Le Chardon rouge, 1949 ; Paris, François Maspero, coll. « Malgré tout », 1976.
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

Adrien Lomme, Paris, Gallimard, 1958 ; Paris, François Maspero, coll. « Malgré tout », 1977. 
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

Anges purs, sous le pseudonyme Vincent Lane, Paris, La Vague, coll. « Les grands romans policiers », 1961.

Nous et l’Innocent, textes choisis et présentés par Isaac Joseph, Paris, François Maspero, coll. « Malgré tout », 1975. 
Repris dans A comme asile suivi de Nous et l’Innocent, avec une préface de Jean-Luc Roelandt, Paris, Dunod, 1999.
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

Cahiers de l’Immuable 1/2/3
« Voix et voir », Recherches, n°18, avril 1975.
« Dérives », Recherches, n°20, décembre 1975.
« Au défaut du langage », Recherches, n°24, novembre 1976.
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

Le Croire et le Craindre, avec la collaboration d’Isaac Joseph, Paris, Stock, coll. « Les grands auteurs », 1978.
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

Balivernes pour un pote, Paris, Seghers, coll. « Textes fous », 1978 ; Poët-Laval, Curandera, 1984. 
[La réédition de Balivernes pour un pote est augmentée de sept nouvelles : « Outremer », « Barricade », « Allégorie », « Le premier corps », « Attachement », « Le pont d’Oncques », « Quequeg ».]

Les Détours de l’agir ou le Moindre geste, Paris, Hachette, coll. « L’échappée belle », 1979.
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

Singulière ethnie. Nature et pouvoir et nature du pouvoir, Paris, Hachette, coll. « L’échappée belle », 1980.
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

La Septième face du dé, Paris, Hachette, coll. « L’échappée belle », 1980.

Les Enfants et le Silence, Paris, Galilée et Spirali, coll. « Débats », 1980.
[D’abord paru en italien, l’ouvrage est constitué des textes des « Cahiers de l’Immuable/3 », de textes parus dans la revue italienne Spirali, et d’inédits]

Traces d’IAutisme, sciences humaines et philosophie, avec Jean-Michel Chaumont, Louvain-la-Neuve, Cabay, coll. « Questions de communication », 1982.

Outremer, édité par Jean-Michel Chaumont, Bruxelles, mai 1983. 
Repris dans Balivernes pour un poteop. cit.

Traces d’être et Bâtisse d’ombre, postface de Jean-Michel Chaumont, Paris, Hachette, coll. « L’échappée belle », 1983.
(Repris dans Fernand Deligny. Œuvres)

A comme asile suivi de Nous et l’Innocent, préface de Jean-Luc Roelandt, Paris, Dunod, 1999.
[L’ouvrage comprend également Éloge de l’asile.]

Essi & Copeaux, Marseille, Le Mot et le Reste, 2005.

Fernand Deligny. Œuvres, Paris, Éditions L’Arachnéen, 2007.

L’Arachnéen et autres textes, Paris, Éditions L’Arachnéen, 2008.

La Septième face du dé, Paris, Éditions L’Arachnéen, 2013.

Lettres à un travailleur social, Paris, Éditions L’Arachnéen, 2017.

 

Œuvres-Descriptif-L’auteur

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1856 pages
(dont 424 de facsimilés)
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ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

Édition établie et présentée par
Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
Jean-François Chevrier

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Portrait Deligny 1
Fernand Deligny
Chronologie

1913
– Fernand, Camille, Émile Deligny naît le 7 novembre, à Bergues (Nord). Il est le fils de Camille Deligny et de Louise Laqueux.

1915-1917
– Le 13 avril 1917, Camille Deligny est tué au combat, près de Saint-Quentin dans l’Aisne.

1919-1931 
– Deligny fait ses études primaires au petit lycée Faidherbe et ses études secondaires au grand lycée Faidherbe. Il obtient un baccalauréat de philosophie en 1931.

1931-1934
– Il abandonne hypokhâgne pour suivre des cours de philosophie et de psychologie à l’université de Lille. À la même époque, il se rend régulièrement en visite à l’asile d’aliénés d’Armentières.
– À la suite de manifestations fascistes, il s’inscrit aux jeunesses communistes

1935-1937 
– Il débute son service à l’École militaire de Paris en octobre 1935.

1938 
– Il trouve un poste d’instituteur suppléant dans une classe de perfectionnement à Paris (12e), puis à Nogent-sur-Marne. Ses méthodes sont proches de celles de Célestin Freinet.

1939 
– Il épouse Josette Saleil et accepte un poste d’instituteur spécialisé à l’IMP de l’asile d’Armentières. 
– Il est mobilisé en août, alors qu’il séjourne dans l’Aveyron chez son beau-père Aimé Saleil, instituteur franc-maçon et libertaire.

1940-1943
– En août ou septembre, il franchit la ligne de démarcation et retourne à Armentières.
– Devenu « éducateur  principal » Deligny révolutionne les conditions de vie des pensionnaires du pavillon 3. Il supprime les sanctions. Avec les gardiens – ouvriers du textile au chômage, artisans, anciens détenus – il organise des sorties, des jeux, des séances de sport, des ateliers.

1943
– Le Commissariat à la Famille de Vichy propose à Deligny la direction de la prévention de la délinquance juvénile pour la région du Nord. Il quitte l’asile et ouvre un foyer de prévention à Wazemmes, commune limitrophe de Lille.
– Il est nommé conseiller technique de l’Association régionale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (Arsea) du Nord.

1944 
– Parution de Pavillon 3 aux éditions Opéra.

1945 
– Le 1er janvier, Deligny est nommé directeur du premier Centre d’observation et de triage (COT) du Nord. 
– Il mène une campagne de presse contre l’abbé Stahl (avocat et responsable d’une société de patronage), avec le soutien du quotidien communiste Liberté
– Parution de Graine de crapule. Conseils aux éducateurs qui voudraient la cultiver, qui fonde sa réputation d’« éducateur libertaire ».

1946
– Parution de Puissants Personnages chez Victor Michon.
 Le 1er mai, la direction de l’Arsea met fin aux fonctions de Deligny. 
– Il prend la responsabilité de Travail et culture pour la région du Nord. 
– Rencontre avec Huguette Dumoulin, militante communiste.

1947 
– Les premières réunions de préfiguration de La Grande Cordée  ont lieu au laboratoire de psychobiologie de l’enfant dirigé par Henri Wallon à Paris. 
– Parution des Vagabonds efficaces chez Victor Michon, dans la collection « Tentatives pédagogiques » dirigée par Deligny.

1948
– Création de La Grande Cordée. L’association dite de « prise en charge en cure libre » s’adresse aux adolescents délinquants et caractériels. Elle est soutenue par les réseaux d’éducation populaire et présidée par Henri Wallon. Le suivi psychiatrique des adolescents est assuré par Louis Le Guillant. Tous les membres du conseil d’administration (sauf Pierre Hirsch, trésorier et ami lillois de Deligny) sont membres du Parti communiste. Huguette Dumoulin participe aux réunions à titre consultatif. 
– Henri Wallon obtient le détachement de Deligny auprès de son laboratoire.
– Les premiers adolescents sont confiés à La Grande Cordée par le professeur Heuyer (hôpital Necker, Paris), puis par les services sociaux et les familles.

1949 
– Parution des Enfants ont des oreilles aux éditions du Chardon rouge.
– La première consultation de La Grande Cordée a lieu au conservatoire Renée-Maubel, à Montmartre. Difficultés financières.

1951
– La Grande Cordée obtient l’agrément de la Caisse de sécurité sociale, à titre exceptionnel et pour une durée d’un an.

1953-1954
– À la demande du personnel de la mutuelle de la RATP, Deligny crée la consultation « Enfance ». 
– De juillet à septembre 1954, Deligny séjourne dans le Vercors avec Huguette Dumoulin, Josée Manenti et une vingtaine d’adolescents.

1955
– La Grande Cordée quitte Paris et s’installe dans les combles d’un château à Salzuit, près de Brioude (Haute-Loire), loués par Josée Manenti.
– Deligny écrit « La caméra outil pédagogique », publié en octobre dansVers l’éducation nouvelle, la revue des Ceméa.

1956
– Pendant l’été, le groupe déménage dans une ferme près de Saint-Yorre (Allier). Depuis 1948, La Grande Cordée a reçu en tout 150 adolescents. 
– Deligny se charge de la « petite école » et écrit Adrien Lomme.
– « Adoption » de Guy Aubert.

1957
– Yves G. est confié à Deligny par ses parents, instituteurs communistes et membres des Ceméa.

1958
– En mai, parution d’Adrien Lomme aux éditions Gallimard.
– Fin août, François Truffaut vient chercher de l’aide auprès de Deligny pour achever l’écriture du scénario des 400 coups.
– Développement des réflexions de Deligny sur le langage et le tracé au cours de séances de dessin avec Yves G.

1959-1961
– En janvier, le groupe déménage dans les Cévennes aux Curières, près de Thoiras (Gard).
– Réédition de Graine de Crapule aux Éditions du Scarabée, avec une nouvelle préface de Deligny. 
– Deligny publie Anges purs sous le pseudonyme de Vincent Lane.

1962-1964
– Installation du groupe à Veyrac, près d’Anduze. Any Durand se joint à eux.
– Départ d’Huguette Dumoulin.
– Tournage du Moindre geste sous la direction de Deligny. Yves G. joue le rôle principal. Josée Manenti assure les repérages et les prises de vue. Guy Aubert enregistre les sons.

1965-1966
– Jean Oury et Félix Guattari accueillent Deligny et ses compagnons à la clinique de La Borde, près de Blois. 
– « Journal d’un éducateur » paraît dans le premier numéro de la revueRecherches.
– Fin 1966, Jean-Marie J. (« Janmari »), 12 ans, autiste profond, est confié par sa mère à Deligny.

1967-1968
– En juillet, Deligny quitte La Borde pour se rendre à Gourgas (près de Saint-Hippolyte-du-Fort dans le Gard), dans une propriété de Félix Guattari transformée en lieu de rencontres entre intellectuels et militants d’extrême gauche. 
– Rencontre avec Jacques Lin, 19 ans, ex-ouvrier électricien chez Hispano-Suiza.
– De retour à La Borde, Deligny participe à diverses manifestations contre la guerre du Vietnam. 
– Il réalise les trois premiers Cahiers de la Fgéri (Fédération des groupes d’études et de recherches institutionnelles). 
– En Mai 68, Félix Guattari fait appel à lui pour réaliser un quotidien des événements ; Deligny fait un aller et retour et décline la proposition.
– Pendant l’été Deligny quitte Gourgas et s’installe avec Any Durand, Gisèle Durand (sœur d’Any) et Janmari au hameau de Graniers, non loin de Gourgas.
– Jean-Pierre Daniel entreprend le montage du Moindre geste au Centre social de la Maurelette dirigé par Jacques Allaire, à Marseille.

1969 
– Préfiguration d’une nouvelle « tentative » avec des enfants autistes, autour de Janmari. Maud Manonni, Françoise Dolto et Émile Monnerot (psychiatre à Marseille) lui confient les premiers enfants. 
– Jacques Lin installe la première « aire de séjour ». D’autres enfants vivent à Monoblet, chez Guy et Marie-Rose Aubert.
– Premières cartes et « lignes d’erre ».

1970
– En janvier, parution des Vagabonds efficaces et autres récits chez François Maspero.
– Jacques Lin installe un campement avec des enfants autistes au Serret, à 12 kilomètres de Graniers.

1971 
– Chris Marker crée la coopérative Slon pour financer la fin du montage duMoindre geste à Paris. Le film est présenté à la Semaine de la Critique au Festival de Cannes. 
– À Graniers, Gisèle Durand s’occupe de la fabrication du pain avec Janmari et collecte les cartes pour les transmettre à Deligny. 
– Guy et Marie-Rose Aubert emménagent dans une ferme à Verdeilhe ; ils accueillent plusieurs enfants autistes.

1973
– Trois enfants vivent désormais de manière permanente dans le réseau : Christophe B., Gilles T. et Janmari.
– Alain Cazuc, photographe et étudiant en sociologie de l’art, rejoint le réseau. Les demandes de stages se multiplient.
– Renaud Victor commence le tournage de Ce Gamin, là.
– Premières prises de vue en vidéo réalisées par les responsables des aires de séjour à l’intention des familles.

1974
– Isaac Joseph publie un dossier de quatre pages sur le « réseau » dansLibération.

1975
– Parution de Nous et l’Innocent, réalisé avec Isaac Joseph, chez François Maspero, dans la collection « Malgré tout » dirigée par Émile Copfermann.
– Isaac Joseph et Deligny réalisent pour la revue Recherches trois numéros spéciaux, les « Cahiers de l’Immuable ».

1976 
– Sortie de Ce Gamin, là à Paris. 
– Le réseau compte huit aires de séjour. 
– Correspondance de Deligny avec Louis Althusser.
– Réédition des Enfants ont des oreilles chez François Maspero.

1977
– Réédition d’Adrien Lomme chez Maspero.

1978
– Parution aux éditions Seghers de Balivernes pour un pote, dédié à Félix Guattari.
– Parution de Le Croire et le Craindre (première autobiographie de Deligny) aux éditions Stock, avec la collaboration d’Isaac Joseph. Celui-ci dirige en outre un travail de recherche inspiré de la tentative dans le cadre du Centre de recherches sur l’inadaptation de l’université Lyon 2. 
– Tournage de Projet N, réalisé par Alain Cazuc et produit par l’INA. 
– Pierre-François Moreau publie Fernand Deligny et les idéologies de l’enfance aux éditions Retz.

1979
– Parution des Détours de l’agir ou le Moindre geste aux éditions Hachette dans la collection « L’échappée belle » dirigée par Copfermann.

1980 
– Parutions : I bambini e il silenzio, aux éditions Spirali ; Les Enfants et le silence aux éditions Galilée/Spirali ; Singulière ethnie et La Septième face du dé aux Éditions Hachette dans la collection « L’Échappée belle » dirigée par Copfermann. 
– L’exposition Cartes et figures de la terre (Centre national d’art et de culture Georges-Pompidou) présente des cartes et des lignes d’erre.
– La Quinzaine littéraire (no 332) publie « L’étrange Fernand Deligny », dossier réalisé par Roger Gentis.

1981 
– Rédaction de L’Arachnéen, de Malabur (illustré par Gisèle Durand), et deRue de l’Oural, inédits.

1982 
– Parution de Traces d’I, en collaboration avec Jean-Michel Chaumont, aux éditions Cabay. 
– Rédaction d’Acheminement vers l’image. 
– Correspondance entre Deligny et Marcel Gauchet.

1983 
– Parution de Traces d’être et Bâtisse d’ombre aux éditions Hachette.
– Deligny écrit les Contes du vieux soldat et de belle luretteLes Deux mémoiresÉloge de l’asile et A comme asile.

1984
– Deligny est hospitalisé en urgence à Ganges (Hérault) pour un double ulcère perforé à l’estomac.
– Début de la rédaction de Lettres à un travailleur social, qui constitue avecAcheminement vers l’image et Les Deux mémoires, la trilogie Lointain-Prochain.
– Mort de Marie-Rose Aubert.

1986
– Fin du réseau. Deligny, Gisèle Durand et Jacques Lin vivent toujours à Graniers avec Christophe B., Gilles T. et Janmari.

1988
– Tournage de Toits d’asile (réal. Renaud Victor), qui devient Fernand Deligny. À propos d’un film à faire
– Deligny entame l’écriture de L’Enfant de citadelle, récit autobiographique sans fin.

1990
– Les Cahiers du cinéma publient un dossier consacré à Fernand Deligny. À propos d’un film à faire.

1991
– Mort de Renaud Victor.

1993
– Mort de Guy Aubert.
– Deligny abandonne L’Enfant de citadelle. Il commence l’écriture d’Essi (Et-si-l’homme-que-nous-sommes).

1994 
– Deligny est transporté à la clinique de Ganges pour une fracture de la hanche. Il écrit son dernier recueil d’aphorismes, Copeaux.

1996
– Le 18 septembre, mort de Fernand Deligny à Graniers.

2002
– Le 11 juin, mort de Janmari.

 

Œuvres-Descriptif-Extraits-Ce qui ne se voit pas

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ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

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Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
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Extraits
Ce qui ne se voit pas (1982 – 1993)
ce qui ne se voit pas
« Nous sommes hantés par un peuple d’images. »
 

 

  • Contes du vieux soldat et de belle lurette (conte, 1982)

En une série d’« enluminures », Deligny raconte les aventures du vieux soldat qui, après avoir traversé l’histoire et les guerres, parcourt le pays à la recherche de sa ville natale et de son emploi réservé. Il est sans le savoir l’artisan de la révolution qui débarrassera la ville de la tyrannie et rétablira la gouverne du hasard.

«[…] Sur une enluminure, on voit la cité, mais on la voit de haut ; c’est ainsi que doit la voir la Maritorne de fer forgé à la proue de la galère. On voit donc les rues étroites et tortueuses qui se rejoignent, se séparent, se recoupent. Comme d’habitude, quand ils se croisent, ils se parlent et se racontent les menus événements, et chacun pense que l’autre ne lui a pas tout dit, alors chacun pense : « Qu’est-ce qu’il ne me dit pas ? Il y a quelque chose qu’il ne m’a pas dit… mais allez savoir quoi ? »

C’est que, d’habitude, les gens se racontaient qui avait été pendu la veille ; et, depuis des jours et des jours, plus de nouvelles des pendus de la veille.

Comme d’habitude, les gens s’abordaient et se disaient :

– Alors… Quoi de neuf ?

Et la réponse était :

– Ben pas grand’chose et même rien du tout…

Celui qui avait la gouverne de la cité était assis derrière son bureau. Celui qui entrait dans la pièce du gouvernement voyait quelque chose qui ressemblait à un œuf d’autruche qui aurait été posé sur l’épaisse planche de chêne ; cet œuf d’autruche avait deux petits yeux bouffis qui s’ouvraient, se refermaient, s’ouvraient encore…

Rares étaient ceux qui pénétraient dans cette pièce ; le vieux soldat était un de ceux-là ; quand il avait terminé ses trajets de nuit et avant de rentrer dans son logement, il devait faire un détour par le bureau et se planter un instant devant l’œuf d’autruche dont quelques mots filtraient comme à regret :

– Alors… Bérésina… ?

Le cérémonial durait depuis belle lurette et le vieux soldat ne savait toujours pas d’où venait le regret ; d’en dire tant ou de ne pas en dire plus ?

Les petits yeux bouffis regardaient le boulet qui était de garde à deux pas de la jambe de bois.

– Content de votre sort… ?

Et, à chaque fois, le vieux soldat pensait que la voix s’adressait au boulet qui restait pantois et ne faisait que ruminer ce que les pavés racontent : du temps de la grande Maritorne, il aurait été boule et libre de jouer des parties qui n’en finissaient pas, la girouette indiquant, à chaque saute de vent, la boule gouverne, ce qui bouleversait à chaque fois le jeu et la foule alors poussait des grands cris ; la rumeur de la ville n’était qu’éclats de joie et rires et quolibets.

Il y avait, comme chaque jour, cavalcade et un étranger petit, replet, vêtu comme un marchand, avait passé le pont-levis qui menait à la plus petite poterne ; il avait pris une rue, sans doute au hasard puisqu’il ne connaissait pas la cité et il est fort probable que la boule-gouverne d’alors qui bondissait et rebondissait avec les autres boules à ses trousses avait fracassé la tête du petit étranger replet.

La foule avait crié :

– Il a attrapé la gouverne en pleine tête…

Or c’était un étranger ; il était donc loin des siens s’il en avait. Mûs par un certain sens de l’hospitalité, quelques habitants de la cité l’ont ramassé et, alors qu’ils le portaient à l’écart de la bouleverse, ils se sont aperçus qu’il parlait encore, ce qui était fort étonnant étant donné l’aspect de son crâne éclaté en plusieurs morceaux tout à fait disjoints. […]»

 

  • Acheminement vers l’image (essai, 1982)

À l’image-communication, soumise aux impératifs de la technique et de la production, Deligny oppose une image non intentionnelle, « qui ne dit rien », une image perdue et retrouvée à la faveur de coïncidences, analogue à celle qui suscite l’agir de l’autiste.

«[…] Or, et c’est ce que je dis au preneur d’images, je ne vois aucune différence entre les oies et les images. S’agit-il de les prendre ? Une oie prise n’est plus une oie ; c’est un volatile éventuellement comestible et domesticable à souhait, quitte à en perdre son aspect et sa vigueur. Il est fort courant qu’on les engraisse, quitte à entonner la nourriture de force. L’homme que nous sommes a une habitude fort ancienne de cette pratique qui est torture. Il n’y a aucune raison de penser que les images soient quittes de cette pratique qui affuble l’espèce domestiquée de caractéristiques que nous connaissons bien à voir les animaux familiers. Pour les oies, il s’agit de les entonner et cet infinitif est le même quand il s’agit de commencer un chant. Ceci dit, il est vrai que les images sont chargées d’être significatives, chargées c’est peu dire, surchargées, gavées de signification et alors elles se traînent, lourdes de sens, grasses de symbole, saturées des intentions grossièrement allusives qui passent, comme on dit, sur l’écran. Elles en sont malades, ce dont tout un chacun se réjouit d’avance. Que passe dans le ciel un vol d’oies sauvages et les oies qui se traînent battent des ailes et tendent le cou, désespérément, hantées par une frénésie fugace.

[…] Dans les remparts de Lille-en-Flandres il y avait un terril d’immondices escaladé par les tombereaux de la voirie municipale, deux forts chevaux de race flamande accrochés en flèche à chaque tombereau plein à ras-bord. Arrivé à la cime, le tombereau basculait vers l’arrière de par le fait que le charretier, tout en jurant sans doute, après avoir tiré à lui une goupille, montait tout debout à l’arrière et son poids, en surplus, suffisait à faire basculer la benne, le charretier s’écartant d’un coup de reins de matador. Tout le contenu du tombereau dévalait alors la pente abrupte du tumulus où quelques vieux et vieilles de l’hospice voisin, immobiles, contemplaient l’avalanche, un sac béant tenu à bout de bras. Ce tableau m’était familier, lorsqu’un jour, deux ou trois enfants sont venus s’y ajouter, pris dans l’avalanche qui devait les surprendre ; la plus petite des trois était une gamine qui devait avoir cinq ans ; elle avait de longs cheveux blonds sur les épaules et dans le dos ; elle s’est penchée pour agripper au passage une suspension inimaginable si on n’a pas vu ces coupoles de verre opaque entourées de pendeloques de perles de verre et surmontées d’une double torsade dorée ; cette couronne d’impératrice de l’univers, la gamine se l’est mise sur la tête et, les bras en balancier et le talon circonspect, elle s’est mise à descendre dans les fumerolles du feu caché qui rongeait sans cesse les immondices. Sur la crête, derrière elle, en silhouette sur le ciel, trois chevaux l’un derrière l’autre. […]

Il en est de l’image comme il en est du prochain en train de disparaître ; il est perdu. L’image est toujours sur le point de se perdre et, pour qu’elle ne se perde pas, c’est se qu’il faut perdre et ce se n’est pas vous-même, votre vie, votre existence. C’est se, tout simplement, cette lubie, point focal du mirage, le se qui nous fait dire que l’image ne se voit pas. Visible, elle le serait, mais de , du là d’être – à l’infinitif.

Et alors, comment voulez-vous mettre la caméra  alors que vous y êtes, ici ?

Grâce à l’échafaudage, tout simplement. Échafaudage ; vous y voyez quelque construction qui va s’élevant vers le ciel ; or, il s’agit du , du là-d’être. L’Algonquin, au là-haut, n’y pense pas ; il y a toujours – depuis des millénaires et sans doute dès avant la période glaciaire – vécu ici-, qui n’est pas « bas » pour autant ; penser ici-bas n’est possible qu’à partir de-haut, et réciproquement.

À partir du moment où il n’y a ni haut, ni bas, reste le  d’où l’image peut être re-cueillie ; ce qu’il faut alors échafauder s’élabore sur le plan horizontal, à ras-de-terre pour ainsi dire, sur le ras de la terre, et camérer de  est alors possible, la caméra posée -bas tout comme elle serait là-haut s’il s’agissait de la lanterne d’un phare.

Si je descends d’où que ce soit, c’est des Ardennes qu’il s’agit, et il se pourrait fort bien que l’Algonquin, dans l’antan, y ait vécu, dans les Ardennes ; ce là-bas s’y prête fort bien à la présence d’une compagniealgonquine, ni esclave, ni conquérante, vivant  et voilà tout, ce  n’étant ni bas, ni haut, ni, à vrai dire, ailleurs. Et c’est la compagnie que vous avez oubliée, car pour tant faire que d’être-là encore faut-il y être de compagnie ; où disparaît le « il » – cet « il » que je suis et à partir de quoi s’il est ici, ilne peut être là.

L’image, voyez-vous, n’est ni quelqu’une, ni quelque chose. Elle est « mouvement », kinéma, mouvement qui, à vrai dire, ne se voit pas, qui n’est que d’être créé par qui voit les images immobiles se succéder. […]» 

 

  • « Camérer » (article, 1983)

« Camérer » plutôt que filmer : l’outil et l’activité de préférence à l’objet fini. Deligny reprend l’idée d’images-copeaux, perdues, inscrites sans avoir été enregistrées dans la mémoire des formes.

 

  • À propos d’un film à faire (film, 1989) 

Deligny adresse à Renaud Victor, le « preneur d’images », ses dernières remarques sur les rapports entre l’image et le langage. Selon un dispositif qui rappelle celui du Camion de Marguerite Duras, ses propos sont entrecoupés de scènes imaginaires d’un « film à faire ». 

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  • L’Enfant de citadelle (autobiographie, 1988-1993)

En 1988, Deligny entreprend le récit de L’Enfant de citadelle, dont il existe 26 versions (plus de 2000 pages), toutes recommencées au jour de sa naissance.

 

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45 €

LIVRE-AUTEUR

1856 pages
(dont 424 de facsimilés)
557 images
Format : 16,7 x 21,6 cm
Reliure souple
ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

Édition établie et présentée par
Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
Jean-François Chevrier

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Extraits
L’agir et le faire (1979 – 1983)
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« L’art est esquive. Le politique fait projet. L’art est détour pour rien. Le politique tend à diriger.  »
 

 

  • Les Détours de l’agir ou le Moindre geste 
    (essai, 1979) 

Deligny propose de voir dans le mode d’être autiste (l’a-subjectivité, la mémoire des repère, l’« orné » des gestes), les traces d’espèce de l’« humain ». Au faire, produit par identification, il oppose les détours de l’agir « pour rien », manifestations d’une initiative prise par l’enfant indépendamment de toute imitation.

 

  • Projet N (film, 1979)

Alain Cazuc, cinéaste et compagnon de la tentative, réalise pour la télévision un reportage sur le mode de vie et d’organisation des « aires de séjour » du réseau.

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  • Singulière ethnie (essai, 1980)

Deligny répond à La Société contre l’État de Pierre Clastres. Il interroge les coïncidences entre l’organisation du réseau et celle des sociétés primitives, du point de vue des fonctions du langage et des relations entre nature et pouvoir.

«[…] À dire que le pouvoir c’est le pouvoir de l’autre, nous y gagnons d’éclaircir le fait que le pouvoir ne précède pas la relation dominé-dominant ; nous éludons ces fantasmagories du subjectif qui cachent une autre réalité, à savoir que la relation qui relie des êtres conscients d’être procède du vouloir même.

 Tout vouloir exprimé en cache un autre qui en cache un autre et ainsi de suite. Ce fait est connu et là n’est pas mon propos. Le fait est que nous voilà aux prises avec des enfants qui ne s’expriment pas. Ce qui est en notre pouvoir est de supposer ce qu’il peut vouloir ; même à prendre le rôle de celui qui s’asservit à ce vouloir de l’autre, le subit, se laisser dominer, le pouvoir n’y perd rien.

 Il est remarquable qu’en l’occurrence et, pour ce qui concerne le mot même, l’infinitif ne se distingue pas du substantif alors que vouloir a perdu sa forme substantive, tout comme si vouloir tournait à avoir le pouvoir de.

Il aurait pu se faire que vouloir devienne le Vouloir et ce qui s’en dirait alors, c’est que le Vouloir, il faut l’abattre et pour ce faire, en vouloir un autre, ce qui donnerait vouloir le Vouloir ; les choses n’en seraient que plus claires, mais peut-être qu’elles le seraient trop.

Les tournures du dire semblent chargées de maintenir la distance entre les deux termes d’une contradiction, de manière à ce que puisse se faufiler la part de son escient, ce qui s’explique de par le fait, qu’à sa connaissance, il ne dispose que de cet escient et de rien d’autre.

 À partir de quoi, et tout à fait inconsciemment, il y a maldonne, cette maldonne étant une des données de l’existence – de l’essence ? – de l’homme, quitte à aller, comme le fait Marx-le-Jeune, à distribuer les rôles entre l’individu et l’espèce de manière à ce que le communisme de bon escient arrive à surmonter cette contradiction, la fêlure se poursuivant entre liberté et nécessité.

Reste le fait qu’en aucune espèce ne s’entrevoit le moindre conflit entre l’individu et l’espèce, et pour cause : c’est la même chose.

Qu’un tel avatar tout à fait singulier advienne à cette espèce nôtre vient du fait qu’espèce elle n’est plus, l’individu ne tardant pas à devenir escient, ne serait-ce que d’être et d’avoir.

 Pour ce qui nous concerne, il serait quand même dommage de réitérer obstinément la maldonne, alors qu’à l’évidence elle est illusoire et sans autre portée que de rendre insupportable l’individu affublé d’être l’autre supposé vouloir, ce qui n’a comme avantage que de nous éviter de chercher ce qu’il en serait d’un mode d’être où le pouvoir, substitut malencontreux – même s’il est inéluctable – de cette autorégulation propre à chaque espèce – et pourquoi pas la nôtre ? – apparaîtrait pour ce qu’il est ; la nécessité de parer au manque de ce que la conscience d’être fait disparaître.

 Si le pouvoir s’origine d’un manque auquel il nous faut bien parer, il ne faut pas s’étonner qu’il se pare d’attraits fallacieux du leurre parfait. Fort de sa nécessité, il se veut absolu. Mais il ne s’agit pas là, de la part de celui qui l’a, d’une propension subjective à dominer les autres. Il y va d’abord d’une crainte de ne pas accomplir le devoir qui lui incombe, devoir insatiable. Le subjectif n’intervient jamais que pour combler le vide. À dire que tel tyran était fou, on n’y gagne rien. L’est-il devenu ? L’a-t-il toujours été ? Peu importe à vrai dire. S’il l’a toujours été, il est déconcertant qu’ON l’ait mis sur cette orbite où sa folie a pu s’épanouir et s’il l’est advenu, il est bien évident que le ON tyrannise l’a voulu ainsi.

 À ne retenir du Pouvoir que l’instance dirigeante, on en oublie qu’il s’agit d’un infinitif d’usage courant qui s’articule à tout vouloir qui est l’inéluctable privilège de tout être conscient d’être, privilège insatiable ; nul ne fera reproche à un enfant de vouloir la lune ; ce qui nous enchante et nous dérange en même temps ; nous n’avons pas le pouvoir de la lui donner. Reste à répondre : « Quand tu seras plus grand, tu iras. » Mais on voit la différence entre vouloir y aller et vouloir l’avoir. Reste à faire semblant de comprendre qu’il veut la voir alors qu’il a parlé de l’avoir. Passe encore pour la lune qui peut se voir et donc se dire. Reste tout ce qui peut se voir et ne peut pas se dire, non pas qu’intervienne quelque censure, mais faute de tournure du dire qui se prête à ce dire ; et que devient le se, à supposer qu’il existe hors d’être dit ?

Où nous nous retrouvons au plus clair de notre ouvrage ; ou l’individu qui ne dit rien, nous pensons qu’il se tait, ou n’ayant pas l’usage des tournures du dire, d’être se il en est dépourvu, ce qui ne le prive pas d’être, mais nous prive de pouvoir le penser.

Où apparaît que penser l’autre est un pouvoir.

 Si je m’en tiens à ce que je me suis dit, que le pouvoir c’est le vouloir de l’autre, tout comme la conscience d’être est conscience de l’Être, ce vouloir de l’autre est vouloir de l’Autre, de même que tout pouvoir, aussi minuscule qu’il soit, nécessite le Pouvoir majusculé.

 Reste qu’à supposer que l’être là qui n’a pas l’usage des tournures du dire, il se pourrait qu’il soit bien en peine de vouloir.

Où disparaît notre pouvoir et, du même coup, le Pouvoir, ce qui, pour d’aucuns, est désastre et, pour d’autres, aubaine.

 Un tel raccourci qui coupe court à l’histoire, nous ne savons pas où il nous mène, aux temps archaïques et révolus ou à ce qui ne devrait arriver qu’après des convulsions révolutionnaires ?

Si nos convictions nous font pencher à choisir l’aubaine, elles ne nous donnent pas pour autant les moyens d’en profiter.

 Que d’être là soit sans vouloir autre que celui que nous lui supposons si nous le voulons autre, n’entraîne pas que nous ayons le pouvoir de lui faire faire – de le faire être – ce que nous voulons. Et c’est bien là qu’est la merveille alors que d’aucuns éprouveraient une déception.

 Pour ce qui est de dominer l’autre, encore faut-il qu’il y ait de l’autre. Notre vouloir n’a de prise qu’à subjuguer un autre vouloir, notre vouloir même n’advenant que du fait que subjugués nous le sommes, le moindre symbole qui peut se dire le moindre signe nécessitant d’être deux, celui qui le fait et celui qui en perçoit le vouloir dire.

 Ce que me disait hier une dame passant par là dont l’enfant était autiste devenu grand, c’est qu’elle voyait bien que là où il y avait de quoi faire, ça allait mieux qu’avec elle à la maison et comme par-dessus le marché, il recevait de l’argent, il était bien content.

De cet argent donné, reste à savoir qui en était le plus content, de l’autiste ou des convictions du tout un chacun qui voit dans cet argent le signe même de la socialisation. Il en est de l’argent comme du signe. Il est arrivé que, de l’argent, des peuplades qui n’en avaient pas l’usage s’en fassent des colliers. D’aucuns pensent que, dès l’argent, la partie a commencé qui n’a pas fini de se jouer.

 Mais là n’est pas mon propos, ce qui se propose à nous étant une table rase et rien d’autre, mis à part l’enjeu qui n’est pas mince et qui serait de s’apercevoir qu’outre la nature qui s’est donné l’être conscient d’être, il y a une autre qui reste à découvrir bien qu’elle ne soit pas à notre portée et qu’elle soit tout autre chose que ce qui joue sempiternellement le rôle qui lui est donné d’être ; ce qui explique les bévues monstrueuses de la conscience même, à savoir la nature humaine. […]»

 

  • Traces d’être et Bâtisse d’ombre (essai, 1983)

Le temps du réseau est assimilé à un âge d’or, âge d’un mode humain à l’infinitif, sans sujet, âge des traces, des pierres et des parois. Le modèle préhistorique n’est pas nostalgique. L’antan n’est pas le passé, mais la présence sacrée et commune de l’espèce, un temps abstrait, non personnifié.

«[…] Sur la paroi, le bonhomme n’est en rien représenté ; ce qui peut s’y esquisser est une trace, trace du geste qui a tracé. Pour que le geste échappe à la gravité de ce que tout un chacun peut se dire, il lui faut être attiré par une autre gravité, gravité qui est à découvrir. Si la paroi est lieu d’être, cette trace esquissée peut être comparée à ce qu’il en serait de la trace laissée par le stylet d’un sismographe ; si celui qui regarde ignore qu’il s’agit de la terre qui frémit, il ne voit rien d’autre qu’une ligne à peine ondulée ; s’il veut bien entendre que c’est là trace de la respiration paisible du globe terrestre, il est saisi d’un profond respect qui le laisse quelque peu pantois.

 Je n’ai jamais pu regarder ce que trace la main du gamin dépourvu de la pratique du langage que je vois vivre, proche, depuis plus de dix ans sans être saisi d’un respect de même aloi.

 Est-ce à dire qu’il s’exprime ainsi ?

Je me suis escrimé désespérément à éluder cette manière de dire qui situe le s’ là où, pour moi, se situe tout autre chose plus proche de ce qu’il en est du globe terrestre que du soy-disant S qui apostropherait le quiconque ; mais le globe alors et en l’occurrence, encore faut-il le découvrir alors qu’il n’est pas à notre portée ; et parler du nous global nous rapprocherait peut-être de ce qu’il en est, à ceci près que le bras de Janmari traçant n’est pas celui d’un sismographe.

Comme il serait facile et attrayant d’aller prendre des nouvelles du global dont le rythme paisible ou agité s’inscrirait sur la paroi de par l’entremise d’une main infinitive.

 J’ai là, devant les yeux, une carte à graver toute noire et ce qui apparaît en traces blanches gravées, ce sont des lignes en dents de scie dont la paroi est hachurée ; peu importe le celui auquel la main qui a tracé est censée appartenir ; d’aucuns admettront comme une évidence que ces gestes dont la trace se voit sont en corrélation avec un certain état caractériel de l’individu traceur, ce dont je dirais que ça ne me regarde pas même si jamais il y avait du vrai.

 Ce que je rabâche, pour le moment, aux uns et aux autres de ce réseau-ci, c’est que tracer existe et la preuve est là : cette carte à graver extirpée d’entre ses semblables, aucune n’étant identique à l’autre, alors que nous n’avons pas la preuve que parler existe, sauf entre nous, bien sûr, le nous alors limité à quelques-uns qui, de cette pratique, auraient le privilège. Tout privilège est d’un aloi fort douteux, ce dont tout un chacun est d’emblée convaincu. Cette carte à gratter dont la surface est recouverte d’un enduit noir qui est griffé par les traces d’une main porteuse d’un stylet est donc la preuve évidente que tracer existe.

À partir de là, à nous d’œuvrer.

Notre ouvrage est de donner lieu à la paroi. […]»

 

 

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1856 pages
(dont 424 de facsimilés)
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ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

Édition établie et présentée par
Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
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Extraits
Légendes du radeau (1962 – 1978)
Le Serret, 1973-1974. © Thierry Boccon-Gibod
« Je dis tout simplement qu’un radeau n’est pas une barricade et qu’il faut de tout pour qu’un monde se refasse. »
 

 

  • Le Moindre geste (film, 1962-1971)

Réalisé par Deligny et Josée Manenti dans les Cévennes entre 1962 et 1964, et construit à partir d’une fable sommaire, Le Moindre geste est un document poétique centré sur Yves G., adolescent psychotique confié à Deligny en 1957. La mise en page restitue les principales séquences du film, son rythme, ses discontinuités, ainsi que le texte du monologue d’Yves G.

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  • « Journal d’un éducateur » (article, 1966)

Ce texte court est à la charnière entre les deux grandes périodes de l’œuvre de Deligny. Il donne d’emblée un certain nombre de repères biographiques et croise trois thèmes : l’asile, la Seconde Guerre mondiale et les rapports de Deligny avec le Parti communiste.

«Novembre 1965
À vingt kilomètres de l’endroit où j’écris il y a un château du XIIe siècle plein d’enfants arriérés. C’est une habitude toute récente de mettre les enfants arriérés dans les châteaux.
Ils n’y sont pour rien. Ils n’ont pas du tout fait la révolution.
Quelqu’un de sensé pourrait même se demander ce que ces résidus font là et pourquoi on les garde encore vivants alors que dans le même moment de l’histoire, de l’autre côté de la terre qui est ronde, des soldats américains jettent des bombes sur des enfants bien vifs, bien intelligents, qui brûlent vivants par dizaines.
Il est vrai que ces enfants arriérés dans ce château de Sologne vivent tout à fait en dehors du temps et de l’espace, éperdument apolitiques et voyez la récompense du sort : ils vivent tranquilles dans un château du xiiie siècle. 
Libres. Ils sont libres. Ils peuvent s’exprimer librement par toutes sortes d’onomatopées. Ils ne sont même pas obligés de se servir des mots tels qu’ils sont. Ils ont de la gouache et des crayons pour s’exprimer encore, librement. Ils n’ont pas besoin de faire le moindre geste utile. Retraités de naissance.

Juin 1941
J’ai une classe d’enfants arriérés dans un immense hôpital psychiatrique à Armentières, dans le Nord. Ils sont une quinzaine dans une pièce aux murs clairs, à de belles petites tables neuves et moi je suis instituteur. Quinze idiots en tablier bleu et moi instituteur dans la rumeur de cette bâtisse à six étages emplie de six ou sept cents enfants arriérés. Dans la rumeur de cette bâtisse parsemée de cris étranges, elle-même prise dans le bruit quasiment universel à ce moment-là de la guerre.

Mai-juin 1940
Près de la Loire, le long d’un mur, à un mètre de ce mur, les soldats qui étaient là avant nous ont empilé des sacs de farine pour se faire un abri. Nous sommes à cinq dans un camion, le ciel est bleu. Les avions y sont gros comme des têtes d’épingles, épingles de diamant qui lancent de fines épées de lumière. Nos yeux pleurent, à force de guetter. Ils vont bombarder. Nous nous mettons à l’abri, le dos au mur. La route passe de l’autre côté du petit mur de sacs où la farine est tassée, dense, presque dure. Quoiqu’il se passe dans le ciel je n’y peux plus rien. Un des sacs du dessus est crevé. La toile éclatée découvre un cratère d’un blanc de falaise. Au fond du cratère, nichées, six souris grandes comme une phalange du petit doigt… Elles dorment, en petit tas, gavées, repues de soleil, de lait, de vie. 
J’écoute le bruit des avions, pour savoir s’ils reviennent sur nous. Je n’ai ni religion, ni croyance, ni raison personnelle d’être là, au bord de la Loire, sous ces avions qui vont lâcher des bombes. Il en sera de ma mort comme de ma naissance, absolument involontaire. J’appuie mon menton sur la toile douce du sac éclaté, chair de farine, robuste et fraîche au plus profond. Six petits corps gris. Leur cœur bat et moi, plus proche d’eux que de mon capitaine qui a fait Verdun, l’autre guerre, et fait encore celle-ci, de carrière, plus proche d’eux que de mon père qui a été tué en 1917, à la ferme de la Biette, plus proche de ces six souris que de n’importe qui, parce qu’elles vivent, si étrangères à l’événement qu’elles ne peuvent pas être touchées. Alors que moi, dans le fin fond de moi-même, je suis tout aussi innocent, tout aussi étranger, aussi peu homme que possible, ma vie est la vie même de ces six petites bêtes mais j’ai un uniforme, mais je suis là au bord de ce fleuve dont je me fous tout autant que du reste. Tout à fait aussi indifférent à la géographie qu’à l’histoire. Hors du temps et de l’espace. Idiot.
[…]»

 

  • Cahiers de la Fgéri (revue, 1968)

À la Clinique de La Borde près de Blois, où l’ont invité Jean Oury et Félix Guattari, Deligny réalise trois numéros des Cahiers de la Fgéri (Fédération des groupes d’études et de recherches institutionnelles). « Langage non-verbal » énonce les principes de sa prochaine tentative avec des enfants autistes.

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  • Nous et l’Innocent (essai, 1975)

Deligny a définitivement rompu avec le militantisme social. Sa rencontre avec Janmari, enfant de 12 ans déclaré « encéphalopathe profond », est à l’origine de la création d’un réseau de prise en charge d’enfants autistes. Il invente un dispositif spatial, des coutumes, une cartographie, une langue infinitive. Nous et l’Innocent fait état de sa recherche sous la forme d’essais, de poèmes en prose et d’extraits de correspondance choisis et édités par Isaac Joseph.

«La tentative

En juillet 1967 s’amorçait cette démarche qui persiste depuis lors : vivre en « présences proches » d’un gamin autiste, mutique, sans trop d’idées préconçues sinon le projet de l’en tirer de ce que les « savoirs » aux abois élaborent, diffusent, édictent et vulgarisent à propos de ces enfants-là « gravement psychopathes, inéducables, irrécupérables » pour reprendre les termes des professeurs-experts ayant observé, pendant des mois, ce gamin-là, entre autres, à la Salpêtrière et autres lieux prévus pour. Abois pour aboi, puisque telle peut se dire l’onomatopée que toussait, pour tout langage, ce gamin-là.

Nous étions sept, et les sept mêmes y sont toujours, aux prises avec d’autres enfants autistes, mutiques, qui nous sont advenus, cette tentative faisant mirage dans l’air du temps. Il faut dire aussi que ma présence là signalait notre entreprise et en indiquait la ligne : alors que les tentatives menées antérieurement, en ricochet, à la recherche d’une « cause commune » entre soignants et soignés, rééducateurs et rééduqués, s’étaient heurtés à « l’ordre des choses », aux institutions ambiantes, il s’agissait, cette fois-ci, à partir de la vacance du langage vécue par ces enfants-là, de tenter de voir jusqu’où nous institue l’usage invétéré d’un langage qui nous fait ce que nous sommes, autrement dit de considérer le langage à partir de la « position » d’un enfant mutique comme on peut « voir » la justice – ce qu’il en est de – « de la fenêtre » d’un gamin délinquant. Cette assimilation du langage, serait-il d’ordre médical, à une sorte de justice, n’est pas si arbitraire qu’il pourrait en paraître à première vue. Dans ce vaste hôpital psychiatrique d’où je suis parti pour la première tentative par la suite racontée, le pavillon des enfants sans « cause », je veux dire plus ou moins mutiques, « débiles profonds » y compris, avait été bâti à quelques pans de mur de celui des médico-légaux, supputés dangereux et irresponsables. Il suffisait d’un jeu des mots pour que, d’irresponsables qu’ils semblaient bien être, ces enfants soient supputés dangereux et ils avaient droit d’office aux mêmes lieux et au même régime de grilles et de serrures considérées comme de protection contre ce fameux eux-mêmes susceptible de (leur) nuire. Avant de décider du placement d’un enfant, il faut bien (pré)juger de son état.

Nous voilà aux prises avec des enfants plus ou moins invivables et pourvus de ces symptômes qui les avaient fait surnommer psychotiques, le sens de notre démarche n’étant point de créer, à plus ou moins longue échéance, une institution, serait-elle « ouverte », mais, bien au contraire, de nous enfoncer, les uns et les autres, dans des modes de vie à notre convenance, quitte à tenter de « voir » quelle « dérive » intervenait à notre insu dans nos manières d’être, nos « moindres gestes », de par le fait de la présence là, en permanence, d’enfants visiblement « à part ».

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, il nous a été relativement facile – nous ne leur demandions rien – d’éviter ce que les institutions au premier degré (Directions de l’action sanitaire et sociale et autres) imposent. Leur vigilance semblait endormie de par la lourdeur des problèmes qui les concernent directement et qu’elles n’arrivent jamais à résoudre. Mais il nous a fallu déjouer ce qui, dans les mœurs et la culture ambiantes, a force d’institué, les vacances, par exemple. Les institutions ferment, les parents s’en vont se reposer. Et les psychotiques ? Les demandes affluaient vers ces Cévennes tournées à devenir Club quasi méditerranéen.

Autre terme institué : guérir. Il est « malade », cet enfant-là. Sa « maladie » a même un nom pourvu de l’h et de l’y de rigueur quand elle est grave, quand il est gravement atteint.

Cet il de la personne troisième attribué d’emblée à un enfant dont justement la « maladie » est de n’être pas « je » m’a toujours paru suspect. Cet il, pour être fictif, n’en a pas moins bon dos. Pas question d’être lieu de vacance(s), sinon celle du langage. Pas question de guérir.

Notre projet est bien de battre en brèche les mots et leurs abus, comme on parlerait des abus d’un pouvoir qui aurait une fâcheuse tendance à se prendre pour fin.

Il s’agit pour nous de déjouer la demande qui nous est faite par qui de droit à propos de cet enfant-là sans pour autant nous dérober au profit d’un prétendu savoir dont il serait porteur comme sont amenés à le faire ceux qui pourtant intervenant ne se veulent ni médecins, ni professeurs, ni magistrats, ni magiciens, ni prêtres. Il nous faut « créer » quelque chosealors que, par dizaines, des enfants autistes ont été accueillis par ce réseau-ci pour des séjours dont la fréquence et la durée vont de la présence permanente au séjour en apostrophe de quelques semaines, au gré des circonstances. Et cette tentative surprend par sa robustesse tranquille et fait mirage : j’entends bien les échos d’une méprise si considérable qu’il me faudrait en répondre de la démarche réelle de ce réseau et préciser, dans la mesure du possible, ce qu’il en est de cette « dérive » de nos manières d’être advenue de par le fait de la présence-là d’enfants mutiques dont on pourrait dire que « rien (ne) les regarde ».

Ce vertige qui leur advient alors, il nous a semblé qu’il se peuplait de ce que j’ai nommé des repères qui apparaissent, se précisent, dans la vacance infinie de tout ce qui est de l’ordre du langage, du conscient et de l’inconscient. Il s’agit d’« autre chose », d’une « chose » autre qui vient par ricochet, un peu à la manière dont la lumière ricoche sur la surface de l’eau, et s’installe pour un moment, sous l’arche d’un pont, un petit « radeau » vivace, en reflet.

L’arche, pour nous, c’est ce que nous appelons le coutumier d’un lieu, et, sur les cartes que nous traçons sans relâche depuis des années, s’esquisse la trace de nos usages harcelée par les trajets et manières d’être manifestées d’un enfant tracés en « ligne d’erre ».

Entre les deux, « entre » nos usages et la ligne d’erre, il y va de ces « radeaux », constellations fugaces de « repères » qui permettent à tel ou tel des enfants là de (re)trouver non pas « se », mais l’usage de ce corps présumé sien, mais qui n’en est pas moins commun à toute l’espèce quelles que soient par ailleurs les nuances modulées par les cultures langagières.»

 

  • Cahiers de l’Immuable (revue, 1975-1976) 

En trois numéros spéciaux de la revue Recherches, Deligny livre une chronique en temps réel du réseau. Isaac Joseph, éditeur des troisCahiers, replace la pensée de Deligny au cœur des débats sur l’institution, le travail social et la psychiatrie. La cartographie des « lignes d’erre » et les documents photographiques y occupent une place importante.

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  • Ce Gamin, là  (film, 1975)

Entre 1972 et 1974, Renaud Victor tourne dans les Cévennes un document sur le réseau d’enfants autistes, centré sur le personnage de Janmari. Le texte est celui de la voix de Deligny, présenté ici tel qu’il l’avait lui-même mis en page dans les Cahiers de l’Immuable/2.

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  • Le Croire et le Craindre (autobiographie, 1978)

Première autobiographie de Deligny, avec la collaboration d’Isaac Joseph.

«[…] Alors que nous pensions aux thèmes de ces entretiens, vous m’avez dit : « Sur le PC, il faudra cent fois y revenir ; le PC et le pouvoir, le PC au pouvoir, les pouvoirs que concède le PC, etc. »

J’ai essayé de vous dire que membre du PC, je l’avais été, à plusieurs reprises. Je me souviens même que j’ai ruminé un petit livre quelque peu exalté sur le thème du Parti pris. C’était lors du temps de La Grande Cordée, et il m’arrivait de prendre le train fort avant dans la nuit. Je descendais à Persan-Beaumont et j’avais cinq ou six kilomètres à faire entre cette gare et l’auberge de jeunesse de Noisy-sur-Oise, qui hébergeait quelques gars de La Grande Cordée. C’est là, tout au long de cette route, que j’y pensais, à ce « prendre Parti », qui résonnait de « prendre femme », et le livre se pensait autour de ce « prendre », infinitif. Et je le pensais déjà très clairement, que les infinitifs, et particulièrement celui-là, il faut les mirer, comme on le fait des œufs, pour voir de quand ils datent et s’ils sont encore propres à cette sorte de consommation qui est de les utiliser. Il est vrai que je n’avais jamais compris pourquoi ça se disait, prendre une femme, et pourquoi dit-on qu’une femelle a été prise, alors que pourrait tout aussi bien être pensé que la femelle a pris au mâle ce qu’il fallait pour que s’engendre la portée.

Il était quoi ? Deux heures du matin. Quand il y avait de la lune, je passais par un bois, et il m’arrivait de m’asseoir, devisant avec moi-même à propos de ce « prendre », dont le dictionnaire m’avait dit qu’il y s’agissait de « faire sien », de « mettre avec soi », et il était ma foi fort possible que ce verbe-là soit, de tout le dictionnaire, le plus copieusement pourvu en sens, qui allaient d’emporter, d’épouser, d’embaucher, de confondre, d’absorber, à s’approprier… et c’est là que je butais. Comment peut-on s’approprier quoi que ce soit, et, qui pis est, quelqu’un ? Je me sentais allègre d’une philosophie de bon aloi, indigné juste ce qu’il fallait, alors qu’à longueur de journée je ressentais la présence proche de ce colosse qui a toujours raison : le Parti.

J’étais tout à fait naïf, et j’entendais bien le rester. Dépaysé par les Chœurs de l’Armée rouge – le colosse y tournait à l’ogre –, j’écoutais d’un émoi tranquille les chants d’Ukraine, vieilles chansons où les femmes ont une voix comme jamais on n’en entend. Autres voix, autres femmes, autres mœurs peut-être ; une autre vie ? Elles avaient l’air de tellement bien s’entendre, les chanteuses de par là-bas, alors que nous de par ici, nous l’étions, tout vieillots, me semblait-il, usés, finis. Nous venions de traverser la guerre ; au Parti, j’y étais, ou presque.

D’où vient ce presque ? Que Staline, ça ne m’allait pas. Voyez-vous ça, ce gamin que j’étais – j’allais sur mes trente-cinq ans – et Staline, ça ne lui allait pas. J’étais en train d’écrire Les Enfants ont des oreilles, où sonnaient, en sourdine, les accents de la trompette libertaire qui s’en prenait assez hardiment aux géants de l’histoire.

La Grande Cordée se tramait, grâce au colosse. Un gars dont je ne sais plus le nom – et je ne vois plus son allure – élevait des escargots dans une des chambres de cette résidence châtelaine qui appartenait à un ministre de Pétain et qui avait été réquisitionnée à la Libération. Je les voyais, les escargots, qui se vadrouillaient, tranquilles, sur la tapisserie grand luxe. J’étais plutôt content. Je lui disais, au gars :

« Ton élevage, tu ne pourrais pas le faire dehors ?

– Si je les laisse dehors, ils vont se tirer. »

Ce qui était évident.

Je devais faire une intervention à je ne sais quel congrès de psychiatrie qui avait lieu à la Sorbonne. Il fallait que j’expose La Grande Cordée. Je n’avais pas de veston mettable. Le Père Aub’ m’avait prêté sa veste de mariage, en velours. Il ne l’avait mise qu’une fois. Le velours était raide, et il faut croire qu’il avait des bras plus longs que les miens, car chaque fois que j’allongeais les miens, de bras, à la table de conférencier, mes mains disparaissaient tout à fait, ce qui me manquait beaucoup, car, quand je parle, je me sers de mes mains. Plus de mains, ça me coupait la chique, brusquement. Et, sur une manche, j’ai vu la trace diaprée d’un escargot. Il faut croire que le Père Aub’ rangeait son veston dans une armoire de cette chambre de la demeure châtelaine. On allait croire que je me mouchais avec ma manche. Pour parer à ce qu’en-dira-t-on, je m’en suis servi, de cette trace, et de ces escargots, et de cette demeure réquisitionnée où j’habitais le pavillon de concierge.

Si j’étais membre du Parti, j’étais d’abord aux prises avec ce que j’avais à faire, à ourdir, avec des partisans qui étaient, pour une part, les gars de La Grande Cordée, et pour l’autre part, des gars des auberges, qui, aux yeux des membres du Parti, faisaient quelque peu racaille idéologique, ce dont je ne me souciais guère. M’en a-t-on fait grief ? Parmi tous les remous que provoque une telle entreprise, ceux-là, s’ils se sont produits, ne m’ont pas donné tellement de soucis. Peut-être que je ne me rendais pas compte, peut-être que des partisans membres du Parti se chargeaient d’en répondre, de ce qui se faisait.

En fait, je crois que ce qu’il faut comprendre, c’est que je n’étais pas anticommuniste. Je vous ai parlé du colosse ? C’est vrai, sauf que je n’ai jamais pris le Parti pour quelqu’un. Je vivais très proche de membres fort solides de ce parti-là, mais je voyais bien à quel point, sur quels points, ils étaient différents les uns des autres. Je n’avais rien à tramer là, vers des responsabilités quelles qu’elles soient.

En fait, de ce colosse, j’en étais voisin plus que membre, et je le savais bien, que ce corps était parcouru de mouvements internes, mais lorsqu’il m’arrivait de voir de près un dirigeant venant du haut, je n’étais pas particulièrement curieux. Il venait d’ailleurs. Je n’avais pas la moindre intention de lui compliquer l’existence, et il me semble que j’avais plutôt a priori du respect envers un homme qui devait être surchargé.

Ce que j’essaie de vous dire, c’est que le Parti n’a jamais été pour moi ce tyran trop aimé/mal honni qu’il paraît être pour beaucoup.

Quand j’entends dire qu’IL a changé, il me semble que c’est bien possible. Mais qu’en est-il de cet IL ? Si les membres, ils ne sont plus les mêmes, IL change.

Le « problème » de savoir si le Parti étant au pouvoir permettrait ou non des tentatives, et quels seraient les pouvoirs qu’IL concéderait… Pour moi, le sujet, qu’il soit ou non majuscule, est tout autant nécessaire qu’illusoire. Trop s’en prendre à LUI, ou trop en attendre, ne m’attire guère.

Si je dis qu’une tentative est un fait politique, il faut comprendre que j’en dirais autant d’un tableau de Van Gogh.

Pour en revenir au colosse, d’autant plus illusoire qu’on le prend pour quelqu’UN, ce qui se fait tout naturellement, l’usage du langage nécessitant cet inéluctable subterfuge – et de quelqu’un on dit qu’il a bien changé, ou qu’il est toujours le même, son identité répondant de la nôtre –, je le savais fait d’événements grandioses, enthousiasmants ; impossible d’y démêler la part de mirage dont les événements étaient surchargés. Il est en quelque sorte fatal que l’ampleur du désarroi soit proportionnelle à la part du mirage projeté. Mais là, l’événement proprement dit n’y est pas pour grand-chose.

Je crains que mon propos sonne un peu le désabusé, alors qu’il n’en est rien. Je ne prétends pas avoir été abusé, et je dirais presque que ceux qui l’ont été l’ont bien cherché, de même pour ceux qui le seraient ou le seront. Ça les arrange. Qu’ils ne se plaignent pas, ensuite, d’avoir été arrangés par, puisqu’ils se sont arrangés avec.

J’en reviens au Discours sur la servitude volontaire, détour pour en revenir à cet ici dont nous parlons.

Que dit La Boétie ? « La Nature a montré en toutes choses qu’elle ne voulait tant nous faire tous unis que tous UN… »

C’est, paraît-il, la prière même de Jésus au moment suprême : « Je prie afin que tous ne soient qu’UN. »

Et de quand date le dire de La Boétie ?

« Grand-chose, certes, et toutefois si commune qu’il s’en faut d’autant plus douloir et moins ébahir, de voir un million de millions d’hommes servir misérablement, ayant le col sous joug, non pas contraints par une grande force, mais aucunement (ce semble) enchantés et charmés par le seul nom d’UN, duquel ils ne doivent ni craindre la puissance, puisqu’il est seul, ni aimer les qualités, puisqu’il est à leur endroit inhumain et sauvage. »

Ce discours est de toujours. La Boétie, l’écrivant, avait seize ans, et Montaigne disait : « C’est bien beau, mais et alors ? Bien sûr que ça ne va pas comme ça, mais si ça allait autrement, est-ce que ça irait mieux ? »

Climat en quelque sorte perpétuellement préélectoral : c’est pas que ça va, vu que ça ne va pas du tout, mais c’est-y pas mieux que si c’était pire ?

Mais n’êtes-vous pas frappé, comme je le suis, par les mots mêmes de la phrase de voûte « enchantés et charmés par le seul nom d’UN ».

Où est la malencontre, sinon dans le nom, ou si vous voulez dans ce nombre d’UN, le nombre étant « une des fonctions fondamentales de l’entendement » – et c’est l’un, et c’est la pluralité, le plus grand nombre.

Mais s’il s’agit là d’« une des fonctions fondamentales de notre entendement », pouvons-nous nous en démunir ? Tout ce que nous pouvons faire, c’est nous prémunir contre les abus de cette fonction, ce à quoi Janmari, autiste, peut nous aider, à condition de ne pas confondre, comme Jésus au moment suprême, l’un et le commun.

Si j’écris comm’un, ne me restera en recours qu’à ruminer un contr’un.

Où s’entrevoit le leurre malencontreux de ce qui est généralement admis comme un processus nécessaire à la persistance de cette espèce nôtre et qui se dit l’identification, ce par quoi il faut bien que le sujet passe, bon gré mal gré.

Et puisque nom et sujet vont de pair, resterait à respecter ce qui échappe au nom, la part du mal gré, et qui est celle de l’inné a-conscient, rétif par nature aux finalités qui s’offrent à l’être en tant que sujet.

Ce qui nous amène à quoi ? À distinguer actes inachevés et actes manqués, par exemple.

Si, de par l’acte manqué, l’inconscient se révèle, c’est à l’acte inachevé que l’a-conscient affleure.

On me dira que je me contredis, et que ces agir d’initiative – il n’y va donc pas d’imiter – qui interviennent pour parer aux avatars du coutumier ourdi du point de voir d’un enfant autiste ont donc une fin, puisqu’il y a du pour à la clé, ou plutôt au ressort de ces agir, et que j’ai fini par trouver le pour quoi de ce pour rien auquel je tenais tant au point d’en faire un des maîtres mots de cette tentative.

Vous me l’aviez d’ailleurs prédit, que, parlant, je n’échapperais pas à la malencontre du pour quoi, ne serait-ce que pour le plaisir.

L’esquive alors me fait dire que mon entêtement vient de ce que je lutte contre un certain monarque que je trouve cité en clair dans le commentaire de Pierre Leroux : « De ce “un” qui commande à un ou à plusieurs résulte le despotisme par voie directe ; et de ce “un” qui possède l’instrument de travail, résulte le despotisme par voie indirecte. […] Mais il est évident que la monarchie subsistera […] tant que la monarchie sera partout, et que les hommes les plus opposés à cette forme politique n’auront pas d’autre idéal que d’être eux-mêmes en petit des monarques. »

Par quels détours sera-t-il possible d’en arriver là ?

La malencontre y est qu’à éparpiller les « uns », et quoi qu’il en paraisse, le tyran, loin de s’affaiblir, se renforce d’être démultiplié à l’innombrable. […]»


 

Œuvres-Descriptif-Extraits-Cordée

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FDO_reprint_500

45 €

LIVRE-AUTEUR

1856 pages
(dont 424 de facsimilés)
557 images
Format : 16,7 x 21,6 cm
Reliure souple
ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

Édition établie et présentée par
Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
Jean-François Chevrier

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Extraits
La Grande Cordée (1948 – 1962)
Deligny_dessin

« Je n’ai l’intention d’éduquer personne, j’ai juste l’intention de créer les circonstances favorables pour qu’ils s’en tirent et pour qu’ils vivent. » 

 

  • « La Grande Cordée » (article, 1950)

La Grande Cordée fut fondée à Paris par Deligny en 1948 avec le soutien d’associations d’éducation populaire et de militants communistes, trotskystes et anarchistes. L’association de prise en charge « en cure libre » se voulait une alternative à l’approche psychologique et morale de la Sauvegarde de l’enfance.

« Bernard T. a seize ans. Il a reçu une première éducation fort soignée. Ses parents sont morts quand il était jeune. Il a grandi en orphelinats, s’est retrouvé dans un centre d’« éducation » très spécialisé, puis dans un autre, a fréquenté par inadvertance un service de neuro-psychiatrie infantile. Il a passé quelques mois chez l’un de nos correspondants. Il a mis quinze jours à s’apercevoir qu’il était là comme chez lui, c’est-à-dire qu’il est boudeur, exigeant, un peu paresseux, mais très gentiment, très poliment. Sa toute première éducation ressort, rappelée à la surface par des petites attentions alimentaires et la chaleur ronflante de la cuisinière dont il peut profiter tout seul, engourdi dans l’unique fauteuil de la maison. Il reste discret, ne touche à rien sans demander la permission, se retire lorsque la conversation ne le regarde pas.

Il apprend qu’un autre gosse qui sort de prison va venir. Il ne manifeste ni plaisir, ni contrariété. La femme du « séjour d’essai » s’en va faire des courses au moment où l’autre, le Lucien, doit arriver. Elle préfère que Bernard accueille et commence à rassurer lui-même l’arrivant.

Quand elle rentre, elle trouve un Bernard méconnaissable. Il a ouvert l’armoire de la cuisine (geste qu’il n’a jamais tenté même en secret) durant les mois précédents. Il a pris un pot de confiture et y puise avec les doigts, couché de travers sur le fauteuil, un vilain pli au creux de la joue. […]

 Et il y a des tribunaux pour enfants et adolescents, il y a des psychologues. Il y a ceux qui disent : « Montre-moi ton Rorschach, je te dirai qui tu es ». Il y a toute l’armée des pêcheurs en eaux basses contre laquelle il est urgent de lutter. […]

 Nous sommes en été. La Grande Cordée est en contact avec quelques caravanes ouvrières avant départ. Le circuit de l’une d’entre elles prévoit des séjours campés dans des forêts du centre de la France et du Midi. La caravane accepte le « bûcheron » à charge pour elle de trouver l’embauche éventuelle pour le candidat manieur de cognée qui accepte la caravane à titre d’entraînement et surtout parce qu’il a des raisons précises de soupçonner son père de démarches tendant à le faire boucler. Nuits en forêt. Bois à débiter (à la hachette) pour cuisson des nouilles et feu de camp.

La caravane revient, l’athlète furieux s’est comporté comme un ange délicat.

Il trouve une embauche chez un artisan parisien, fabricant de petits meubles, et sa tâche est de vernir tables gigognes et nécessaires de coutures à petits coups de pinceaux et grands coups de chiffon.

Il travaille fort bien.

Mais nous jugeons prudent de compléter à son égard le « dispositif ». Un collaborateur latent de La Grande Cordée s’entraîne le dimanche au plongeon de haut vol. L’Hercule au chiffon de laine accepte «  l’occasion  » de tarzaner d’une manière un peu civilisée.

Il habite toujours porte de Versailles.

Quand l’artisan n’aura plus de commandes, ça risque de recommencer à cogner sur les tapis moelleux de l’antre familial. »

 

  • « La caméra outil pédagogique » (article, 1955)

Deligny conçoit le cinéma comme une activité centrale de La Grande Cordée. Il anticipe avec une géniale clairvoyance l’idée d’un cinéma documentaire expérimental, réalisé par les adolescents eux-mêmes.

«[…] J’ai pensé que le cinéma avait sa place dans un organisme comme le nôtre qui veut aider des adolescents en difficulté. Il n’est évidemment pas question que chacun ait sa caméra, mais il est nécessaire que cet outil-là soit réellement à la disposition de ceux qui veulent s’en servir pour raconter en quelques suites d’images ce qu’ils voient de la vie qu’ils vivent.

[…] Avec la caméra, le monde les regarde, le monde des Autres, qui n’avaient rien à faire d’eux, et seront tout à l’heure les témoins de ce qu’ils font chaque jour.

Mise en scène ? Non. Mise en vue. Mise au clair. Mise en public.

Pendant que j’écris, la caméra est sur ma table, sans munitions. Nous n’avons plus de pellicule, à nouveau, depuis deux jours. L’arme automatique est muette. Au-dessus de ma tête, sur les dalles du séjour d’orientation au long couloir propice aux courses, l’infanterie se démène pour nettoyer la poussière que la bâtisse féodale où nous vivons sue par tous ses recoins. Nous sommes le 14 juillet 1955. […]»

 

  • « Le groupe et la demande : à propos de La Grande Cordée » (article, 1967) 

En une succession de scènes tragi-comiques, Deligny récapitule ce que furent ses « guérillas » à l’asile d’Armentières, au Centre d’observation et de triage de Lille et pendant La Grande Cordée. Le texte est fortement teinté de l’esprit anarchisant de Partisans, la revue trotskyste dont Émile Copfermann était secrétaire de rédaction.

«[…] Devenu délégué régional de Travail et culture, il m’a fallu quelques années pour atteindre une nouvelle position : La Grande Cordée.

Quelle était la demande de l’administration ? L’Office public d’hygiène sociale me demandait de m’occuper, le plus utilement possible, de jeunes gens implaçables, psychothérapies inopérantes. Cette fois, la position prise était un peu différente :

– pas de lit, ni maison, ni foyer ;

– un réseau de séjours d’essai à travers toute la France, basé sur le réseau d’auberges de jeunesse et tout autre lieu où « on » voulait bien prendre en séjour un gars de La Grande Cordée ; consigne formelle, l’éjecter s’il devenait gênant d’une manière ou d’une autre.

En gros, la demande des arrivants n’était pas très claire. C’était plutôt un refus, ne plus avoir affaire aux psychiatres :

– Les psychiatres, je ne veux plus les voir. D’abord, je ne suis pas fou…

– J’espère bien…

Le groupe ? Une ex-dirigeante de l’UJRF, communiste décidée, quelques militants des Auberges, tous extrémistes politiques : trotskystes, anarchistes, des moins jeunes qui cherchaient quoi faire d’autre que les huit heures salariées et, par-dessus ce petit lot, des amis, un aréopage d’amis : le professeur Henri Wallon, le docteur L. Le Guillant…

Le groupe d’origine était fort vivace. Il avait lieu où ? L’endroit compte. Si vous demandez à un adolescent, psychotique ou non, quels sont ses projets, si vous êtes un monsieur de quarante ans dans un bureau de psychologue ou si vous êtes une jeune fille de dix-huit ans sur un banc du Luxembourg, à moins que le gars ne soit vraiment pas bien, vous n’obtiendrez pas la même réponse.

Cette question :

– Alors, qu’est-ce que tu voudrais devenir ?

Je la posais dans un petit recoin d’un vrai théâtre qui avait été celui de Dullin, alors désaffecté et requis pour la Culture Populaire. Au mur, un lavabo où venaient se démaquiller les personnages de Pirandello ou de Bertolt Brecht si bien que les caractériels venus s’asseoir là, souvent accompagnés de leur mère ou de leur père ou d’une assistante sociale qui n’en croyaient pas leurs yeux puisqu’ils venaient vers un organisme spécialisé recommandé par quelque haute sommité psychiatrique qui me connaissait de nom, ont vu passer ces étranges personnages suants et maquillés, Arlequin, Mère Courage…

Je disais :

– Alors ?

J’écoutais le théâtre : pas les paroles, le bruit. Quel extraordinaire instrument à bruits qu’un théâtre quasiment vide, comme la voix paraît grêle, même celle des acteurs, grêle et pour ainsi dire insignifiante. Que dire alors de celle du jeune homme assis qui me racontait sa vie ou des racontars de la mère ou de l’assistante sociale. Je disais :

– Eh oui, bien sûr…

Avec la voix d’un ténor qui répétait sans cesse et le bruit des chœurs et des répliques. Toutes ces banquettes vides, relevées et ces escaliers de bois en colimaçon… Albert Camus passait quelquefois par là, je ne l’ai su que beaucoup plus tard. Les murs étaient des cloisons de planches. Quelquefois, en arrivant, vers neuf heures, je voyais un mur abattu. Albert S. m’attendait, assis en face de ma table. Il avait frappé. Je n’avais pas répondu. La porte était fermée. Alors, il avait abattu le mur, d’un coup d’épaule. On remettait les planches en place à cause du propriétaire qui rôdait toujours et n’estimait pas plus la culture populaire que la pédagogie d’avant-garde et ne cherchait qu’un prétexte pour mettre tout ça dehors. Albert S. avait dix-neuf ans, un mètre quatre-vingts. Il était nègre et pupille de cette Assistance publique dont il cassait la figure aux directeurs départementaux. Il disait :

– Tu rigoles, Deligny, tu m’en veux pas ? Tu viens boire un crème ?

Histoire de voir si je n’étais pas un peu directeur de quelque chose, sur les bords ou dans le fond. […]»

 

  • Adrien Lomme (roman, 1958)

Récit d’un épisode de la vie d’Adrien Lomme, enfant sans père, épileptique, débile, dans un petit village de l’Oise. Deligny dresse un tableau critique et amer de la situation de l’éducation spécialisée au lendemain de la guerre, et de ses « marraines », « l’Œuvre charitable, le scoutisme et la psychiatrie abusive ».

«[…] Adrien creuse deux tranchées à travers le plâtre et la pierre rouge. Il arrive au plancher. Le rond de la tête est fait et deux longs bras minces et deux mains. Maintenant, les jambes. Les deux tranchées qui descendent arrivent au plancher qui porte des collines de poussière blanche et rouge. C’est trop tôt. Les deux traces qu’Adrien a dans la tête sont plus longues. Elles ne peuvent pas finir là. Traverser le plancher ? Adrien se couche. Il fait tourner les deux tranchées à angle droit. Elles continuent leur cours, l’une au ras du plancher, l’autre un peu au-dessus. Une grosse écaille de plâtre se détache. Point. Un point qui tombe du mur tout juste pour aider Adrien à finir cette espèce de carte, de lettre qui se dit : bonhomme.

Adrien a du sang dans une main, le long des plis et en petites flaques qui ont mordu dans la poussière blanche. Il lèche. Il est assis contre le mur. Il lèche la poussière blanche et découvre la source du sang qui cherche à nouveau son chemin dans un pli de sa paume. Adrien creuse sa main, étonné de tous ces plis qui font des grimaces. Il n’y a qu’à attendre. Le sang va emplir le creux. C’est trop long. Adrien ramasse le peigne cassé et il laboure la plaie qui suinte à peine. Il a encore dans le bras la force qu’il a dû mettre pour entailler le mur. Ça lui fait mal jusque dans l’épaule. Il secoue cette épaule qui lui fait mal alors qu’il est occupé dans sa main. Il fait un geste qui devrait vider sa main dans la poussière blanche. Rien ne tombe.

Chacun de ceux, homme, femme ou fille qui verront les chemins tracés par Adrien dans le plâtre et la brique de ce recoin d’hôpital, chacun se dira :

– À genoux…

Mains grandes ouvertes au bout des bras tendus, ce tracé d’homme demande pardon à genoux.

Et tous les relents de croyances que chacun promène avec soi viendront bourrer la tête et la bedaine du bonhomme qui se mettra à grouiller d’intentions.

Adrien, seul, dans sa tête, sait que, pour suivre fidèlement son idée, il aurait dû trouer les planches, par terre, ou les arracher, passer. Il n’est pas tout à fait content de son travail.

C’est fait, c’est fait.»

 

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45 €

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1856 pages
(dont 424 de facsimilés)
557 images
Format : 16,7 x 21,6 cm
Reliure souple
ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

Édition établie et présentée par
Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
Jean-François Chevrier

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Extraits
Asiles (1938 – 1949)
Asiles
«J’aimais l’asile. Prenez le mot comme vous voulez :
je l’aimais, comme il est fort probable que beaucoup de gens
aiment quelqu’un, décident de faire leur vie avec. 
Il s’agissait bien d’une présence vaste, innombrable,
mais dont l’unité était évidente.»

 

  • Pavillon 3 (nouvelles, 1944)

Au fil de neuf nouvelles dont les personnages principaux sont des adolescents de l’asile d’Armentières – où il fut successivement instituteur spécialisé puis éducateur –, Deligny livre un témoignage sur le prolétariat du Nord et sur les conditions de l’internement asilaire au début des années 1940.

«[…] Jean Georges René Teck est au commissariat. La vie du poste, où se remuent à peine trois gros agents, l’intéresse.
Ainsi le meilleur élève du catéchisme serait silencieux, discret et attentif s’il était transporté, en récompense de son travail, dans l’antichambre du paradis.

René caresse de la paume de la main le bois du banc lissé par tant de culottes de voleurs.

« Je suis là pour rien, pense-t-il, pour rien du tout », et il se sent un peu honteux d’être assis sur ce banc sans être accusé du moindre crime.

Tout à l’heure, alors que les rues étaient pleines d’enfants en route pour l’école, il avait avisé un petit qui marchait tout seul, les pieds dans le ruisseau comme deux remorqueurs qui fendraient l’eau alternativement. Le petit était en train de mugir gravement quand René l’avait accosté :

– Donne-moi ta carnasse… je vais te la porter.

Le petit avait laissé René prendre sa gibecière. Les larmes au bord des yeux, il avait suivi…

Arrivé dans les remparts, Teck attendait l’autre qui peinait et pleurait, la bouche ouverte et les jambes actives, pour rejoindre ses cahiers, ses livres et son plumier.

Teck dit :

– Alors, tu veux ta carnasse ?

– Oui !! hurla l’autre.

Alors Teck prit la gibecière par la courroie, la fit tourner dix fois en l’air, à bout de bras, pour l’envoyer, en pleine volée, dans la figure de l’autre qui suivait, admiratif, le vol bourdonnant de « ses affaires ».

Le petit fut assommé. Teck, léger, sautant d’un pied sur l’autre, rejoignit l’école dont il aimait l’odeur, les compliments et les punitions.

Lorsque deux agents, deux vrais agents, se mirent de chaque côté de lui à la sortie grouillante de onze heures et demie, l’encadrant, le mettant en valeur, René dut se mordre les joues pour endiguer une puissante envie de rire.

« Le voilà pris… », pensait-il. Et « le » représentait un bien fameux criminel. « Faudrait que j’aie une gueule à faire peur. »

Le soleil versait sur les murs toute sa lumière. Les passants étaient rares, les bruits lointains : le cortège n’en était que plus solennel. René, encore étonné que la société couronne aussi sérieusement ce qu’il prenait jusqu’alors pour de simples jeux d’enfants, offrait aux yeux curieux une tête fine et dédaigneuse d’enfant prodige.

Le bureau du commissaire est plus sombre encore que la salle où René vient d’attendre. La descente aux cellules commence, où la lumière ne pénètre que par un soupirail, où l’air sent le tabac, les sueurs, les pieds, le cul et le crime.

– Tu sais pourquoi tu es ici ? demande le commissaire.

– Non, dit René.

– Tu as à moitié tué un gosse dans les remparts.

– C’pas moi, et René sourit, tellement il est à l’aise dans ce décor.

– La prochaine fois…, dit le commissaire et il fait un geste de maître d’école qui menace le plafond d’un petit doigt gras.

Alors René s’enfonce sur sa chaise et il dit :

– Et les meules qui ont brûlé… et p’têt aut’chose… Toute façon, j’suis pris.

Jean Georges René Teck fut conduit en prison. Le couloir d’entrée en était populeux comme un hall de gare et René se retrouva dans un compartiment bondé : sept gamins et sept hommes. Les plus grands crachaient à grands jets et atteignaient, sans les viser, le crâne, le visage ou la main d’un de ceux qui n’osaient rien dire. Le sol de la cellule était couvert de paillasses piétinées. René accroupi contre un mur entendit les rires et eut peur.

Une prison n’est pas une gare. Le soulagement collectif du départ et le sommeil bercé par les cahots ne vinrent jamais.

Tenu éveillé par les morsures des puces et par toutes ces respirations voisines qui lui sifflaient dans les oreilles, René, écœuré, au bord des larmes, joignit les mains. Ses lèvres tremblaient. Attendri et confiant dans une bonne volonté toute neuve et toute-puissante surgie de lui-même, il se laissa emmener, comme aux côtés d’une grande dame étrangère qui l’aurait pris par la main, jusqu’au lit où une de ses sœurs venait l’embrasser, jusqu’au jour où, sur les genoux de son père, il s’amusait avec une grosse montre sonore et affairée.

Après cette promenade, lorsqu’il entendit les ronflements qui le menaçaient, ignorant les prières, il se mit à marmonner de bonnes résolutions.

L’homme qui vient chercher les jeunes délinquants pour les accompagner jusqu’au patronage ou jusqu’à une maison de rééducation n’a pas à se les attacher, comme les gendarmes font avec les prisonniers.

Ils suivent. Il pourrait se charger d’en transférer trente. Les trente suivraient, comme des rats derrière le charmeur. L’air de flûte, c’est le vent qui le joue et le ciel et les maisons.

Il pourrait leur faire faire dix fois le tour de la ville en passant par les mêmes rues. Leur paquet sous le bras et leurs souliers sans lacets aux pieds, ils suivraient. Mais les enfants de la ville, avides de cortège, marcheraient derrière eux. Et le pauvre homme de gardien avec sa casquette au galon doré ne pourrait jamais plus se débarrasser de son troupeau docile et trier, le moment venu, les bons et les mauvais. […]»

 

  • Graine de crapule (aphorismes, 1945)

Graine de crapule est paru l’année de l’ordonnance de 1945 qui préconisait la rééducation protectionnelle des enfants délinquants. Les aphorismes ont valu à Deligny sa réputation d’éducateur libertaire et font toujours autorité dans les milieux de l’éducation spécialisée.

« […] Une nation qui tolère des quartiers de taudis, les égouts à ciel ouvert, les classes surpeuplées, et qui ose châtier les jeunes délinquants, me fait penser à cette vieille ivrognesse qui vomissait sur ses gosses à longueur de semaine et giflait le plus petit, par hasard, un dimanche, parce qu’il avait bavé sur son tablier.

Il y a les hérédo-tuberculeux, les hérédo-alcooliques et les hérédo-malheureux.

 Il y a trois fils qu’il faudrait tisser ensemble : l’individuel, le familial, le social.

Mais le familial est un peu pourri, le social est plein de nœuds.
Alors on tisse l’individuel seulement.
Et l’on s’étonne de n’avoir fait que de l’ouvrage de dame, artificiel et fragile.

 Certains qui font ce métier, le nôtre, croient en Dieu ; d’autres ont foi dans les hommes.

Quand tu auras passé trente ans de ta vie à mettre au point de subtiles méthodes psycho-pédiatriques, médico-pédagogiques, psychanalo-pédotechniques, à la veille de la retraite, tu prendras une bonne charge de dynamite et tu iras discrètement faire sauter quelques pâtés de maisons dans un quartier de taudis.

Et en une seconde, tu auras fait plus de travail qu’en trente ans.

Si tu es pour si peu dégoûté du métier, ne t’embarque pas sur notre bateau car notre carburant est l’échec quotidien, nos voiles se gonflent de ricanements et nous travaillons fort à ramener au port de tous petits harengs alors que nous partions pêcher la baleine.

C’est un métier d’enfants, c’est un métier d’apôtre, un métier d’ajusteur ou mieux de repasseuse.

Et les plis sont tenaces au corps et à l’esprit des enfants sur lesquels a pesé, de toute sa masse inerte, une société d’adultes bien indifférents.»

 

  • Les Vagabonds efficaces (chronique, 1947)

«[…] La prison, procédé sauvage. Clef de voûte de la société actuelle. Je te mets en prison. Tu me mets en prison. «  Y a qu’à les foutre en tôle.  »

Y mettre des adultes, ça heurte déjà le bon sens de ceux qui ne sont pas uniquement préoccupés de protéger leur dessus de cheminée d’une collectivisation prématurée. Y mettre des gosses, c’est provoquer d’innombrables avortements sociaux bien plus néfastes que l’avortement réputé crime.

Ceux qui ne participent plus à cette irrigation de sang social qui vous met le cœur en fête, vous donne envie d’agir, de rire et de parler, avant de mourir exsangues, aliénés, se débattent. C’est la bande, c’est l’effraction, c’est le crime.

Il en arrive un tout seul. Il ne vient pas de prison. Arrêté l’avant-veille parce qu’on a trouvé chez lui une collection de grenades, il a passé trois jours (et trois nuits) dans les caves cellulaires du commissariat central.

Après quelques heures d’observation (de sa part) il quitte l’air couard et poli qu’il croyait de circonstance et raconte qu’il a bien rigolé. Il y avait parmi les détenus souterrains et provisoires un commissaire de police suspect de collaboration, « des tas de types drôlement riches et des poules ».

En voilà un pour qui l’armature sociale sent le brûlé.

Un maréchal-idole qui est un salaud sénile, un commissaire de police qui, de près, sent le marchand de lacets à la sauvette, le soi-disant voyou rouge de la rue à « claques » qui est un authentique héros de la résistance, voilà qui va compromettre, pour un temps, l’efficacité de la morale par l’exemple.

Hauts murs de tapisserie, matelas mal bourrés de crin végétal, le centre souffre d’un déséquilibre qui va tendre à se résorber aux dépens des tapisseries (car il n’est pas question de pouvoir améliorer les lits).

L’érosion humaine va opérer. Je suis d’ailleurs bien décidé à ne pas interdire, sévir, guetter ou à transformer en un quelconque « concours entre équipes » la protection, d’ailleurs illusoire, de cette « propriété » dans toute la hideur inutile du mot et de la chose.

Je m’en excuse (tacitement) auprès de ceux qui m’ont confié (en fait) des responsabilités.

J’étais vendu, archi-vendu à l’autre camp, au camp des casseurs de vitres et des voleurs de poules.

Aux réunions du conseil d’administration, j’étais coincé entre un procureur de la République et un inspecteur de l’Assistance publique, l’espion pâle et tenace camouflé en ambassadeur (consultatif) de ses crapules d’enfants… « qu’il ne faut plus appeler délinquants, pour le redressement moral desquels tout doit être mis en heûvrre… ».

Moi, je demandais un ballon de football. Nous ne l’avons jamais eu. Je pourrais raconter comment nous l’avons volé mais il n’y a pas encore prescription. […]

 Pour nous, prendre un gosse en charge, ça n’est pas en débarrasser la société, le gommer, le résorber, le dociliser.

C’est d’abord le révéler (comme on dit en photographie) et tant pis, dans l’immédiat, pour les portefeuilles qui traînent, les oreilles habituées aux mondaines confitures, les carreaux fragiles et coûteux. Tant pis pour le quartier qui nous regarde de haut, dont les villas trouvent qu’on aurait pu mettre ça ailleurs et dont les propriétaires sont prêts à crier à l’attentat aux mœurs s’ils voient un de nos voyous pisser contre un arbre. Tant pis pour les fruits que la propriétaire se gardait pour ses marmelades et les fleurs engraissées pour ses tombes, tant pis pour ceux qui veulent qu’enfance rime avec innocence. Tant pis pour les ribambelles de vieilles filles qui, périodiquement, font en cordée, la promenade de la rééducation (avec point de vue sur l’attentat aux mœurs par beau temps). […]

 Le moindre dessin d’enfant est un appel. Trop souvent, les adultes y répondent en curieux fertiles en commentaires. Nous voici au cœur même de la coutumière escroquerie.

Non-sens, ruptures, tremblements, esquisses, ignorances sont admis et même goûtés lorsqu’ils s’expriment sur le papier, balbutiements d’une naïveté qui s’applique.

Que la même naïveté s’exprime par des actes, instabilités, audaces, dédains, paresses, l’adulte provoqué devient odieux.

Voilà saisie, sur le vif, cette dérivation artistique vers laquelle pousse la société qui ne veut pas être dérangée, qui veut bien que l’on crache sur les murs, qui s’empresse même d’encadrer les crachats, qui organisera des expositions de haineux mollards, trop heureuse qu’on ne touche pas à l’ordonnance discrète de ses constructions, de ses hiérarchies, de ses habitudes.

Un dessin d’enfant n’est pas une œuvre d’art : c’est un appel à des circonstances nouvelles. […]»

 

  • Les Enfants ont des oreilles (contes, 1949)

Cette série de contes dont les personnages sont des choses triviales, vernaculaires, au rebut (à l’opposé du merveilleux), signale les affinités momentanées de Deligny avec le courant de la pédagogie moderne.

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Œuvres-Descriptif-Extraits

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45 €

LIVRE-AUTEUR

1856 pages
(dont 424 de facsimilés)
557 images
Format : 16,7 x 21,6 cm
Reliure souple
ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

Édition établie et présentée par
Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
Jean-François Chevrier

Œuvres-Descriptif-Sommaire

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Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
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Sommaire

« Journal d’un éducateur »

Présentation par Sandra Alvarez de Toledo 

I. Asiles

Pavillon 3
Introduction
Pavillon 3 (1944)

Graine de crapule
Introduction
Graine de crapule (1945) 
« Graine de crapule ou le charlatan de bonne volonté » (préface inédite, 1955)
Préface de la réédition (1960)

Les Vagabonds efficaces
Introduction
Les Vagabonds efficaces (1947) 
Préface d’Émile Copfermann à la première réédition (1970)

Les Enfants ont des oreilles
Introduction
Les Enfants ont des oreilles (1949) 
« Septembre 1976 », (préface, 1976)
Poèmes et tracés de la réédition (1976)

« Devenir Deligny (1938-1948) » par Michel Chauvière


II. La Grande Cordée

La Grande Cordée
Introduction
Présentation de Louis Le Guillant (1950)
« La Grande Cordée » (1950) 
« La caméra outil pédagogique » (1955)
« Le groupe et la demande » (1967)

Ceméa
(Documents 1943-1960. Légendes de Jacques Ladsous)

Adrien Lomme
Introduction
Adrien Lomme (1958) 

« L’enfance et l’adolescence dans la psychologie française (1947-1962) » 
par Annick Ohayon


III. Légendes du radeau

Le Moindre geste
Introduction
Le Moindre geste (1962 -1971) 
« Quand même il est des nôtres » (1971)

Cahiers de la Fgéri
Introduction
« Gourgas, une gageure » (extrait du n° 1, 1968) 
« Langage non verbal » (extrait du n° 2, 1968)

Nous et l’Innocent
Introduction
Nous et l’Innocent (1975) 

Cahiers de l’Immuable
Introduction
Voix et voir (n° 1, 1975) 
Dérives (n° 2, 1975)
Au défaut du langage (n° 3, 1976)

Ce Gamin, là
Introduction
Ce Gamin, là (1975) 
Cartes et légendes (1968-1979)

Le Croire et le Craindre
« Que croire soit advenu pour pallier le craindre… » (inédit, 1978)
Le Croire et le Craindre (1978) 

« Un radeau laisse passer l’eau » par Anne Querrien


IV. L’agir et le faire


Les Détours de l’agir
 ou le Moindre geste
Introduction
Les Détours de l’agir ou le Moindre geste (1979) 

Projet N
Introduction
Projet N (1979) 

Singulière ethnie
Introduction
Singulière ethnie (1980) 

Traces d’être et Bâtisse d’ombre
Introduction
Traces d’être et Bâtisse d’ombre (1983) 

« Au-delà du malaise dans la civilisation. Une anthropologie de l’altérité infinie »
par Bertrand Ogilvie 


V. Ce qui ne se voit pas

Contes du vieux soldat et de belle lurette
Introduction
Contes du vieux soldat et de belle lurette (inédit, 1982) 

Acheminement vers l’image
Introduction
Acheminement vers l’image (inédit, 1982) 
« Camérer » (1983)

À propos d’un film à faire
Introduction
À propos d’un film à faire (1989) 
« Ce qui ne se voit pas » (1990) 

« L’image, “mot nébuleuse” » par Jean-François Chevrier

L’Enfant de citadelle (1988-1993, extrait)

Annexes

Chronologie
Bibliographie

« L’homme sans convictions »

 

 

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1856 pages
(dont 424 de facsimilés)
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ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

Édition établie et présentée par
Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
Jean-François Chevrier

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Introduction

L’inactualité de Fernand Deligny

Sandra Alvarez de Toledo 

« J’aimais l’asile. Prenez le mot comme vous voulez : je l’aimais, comme il est fort probable que beaucoup de gens aiment quelqu’un, décident de faire leur vie avec. Il s’agissait bien d’une présence vaste, innombrable, mais dont l’unité était évidente. » Deligny avait vingt ans – il est né en 1913 – quand il se rendit pour la première fois à l’asile d’Armentières, entre Lille et Bergues, sa ville natale. L’asile devint son île, le lieu d’une seconde naissance et d’un exil intérieur définitif, la condition de l’écriture, le modèle institutionnel et spatial de ses futures tentatives. Au début des années 1980, en plein débat sur la sectorisation et la fermeture des hôpitaux psychiatriques, il écrit un « Éloge de l’asile ». Il n’apporte pas sa voix à la contestation du « grand renfermement ». L’enjeu du redécoupage des pouvoirs entre administration, psychiatrie et justice, sur fond de remise en cause de la loi de 1838, ne le concerne pas. Que l’aliéné conserve ou non ses droits ne l’intéresse pas. C’est au contraire son irresponsabilité profonde qui l’intéresse, son incapacité à faire valoir ces droits, le flottement qui s’instaure sur son statut de personne. La vie de Deligny, son œuvre, son engagement même, s’enlèvent sur ce fond de refus de rien posséder en propre, à commencer par soi-même. Sa vision de l’asile et de ce qu’il n’appelle pas la folie est, en ce sens, philosophique et poétique.

Il y aurait donc quelque chose de paradoxal à publier ses Œuvres, à lui rendre sous la forme d’un imposant volume ce dont il n’aurait pas voulu. À consacrer auteur celui qui, vers la fin des années 1960, s’empara de l’autisme comme modèle d’une forme d’existence anonyme, dénigrée, reléguée à la frange de tout, et en cela, dit-il, non assujettie, réfractaire à la « domestication symbolique ». À célébrer le nom de celui qui chercha une langue sans sujet, une langue infinitive, débarrassée du « se », du « soi », du « moi », du « il » ; une langue du corps et de l’agir, à la fois concrète et contournée, répétitive jusqu’à la ritournelle, qui cultive l’opacité par peur d’être comprise, mal comprise, prise. L’œuvre de Deligny est justement l’image d’un processus de déprise de soi et de l’Un, dans le travail de l’écriture et dans la recherche indéfiniment remise sur le métier d’uncommun d’espèce, pour faire pièce aux violences du sens de l’histoire.

Deligny partage avec les intellectuels de la deuxième moitié du xxe siècle le refus des fixations identitaires et la pensée métaphorique de la discontinuité : plutôt que de déplacements, de dérivations, de rhizomes ou de prolifération de systèmes, il parle de détours, de repères, de chevêtres ou d’orné. Ce vocabulaire est issu d’une expérience de l’espace vécue au travers des symptômes psychotiques. À Armentières, déjà, il tire parti de la topographie labyrinthique, des espaces à faible légitimité, des caves, des greniers, des trous. Quel que soit son projet, il commence toujours par élire un territoire qu’il veut ample (voire à perte de vue : les Cévennes) et complexe. L’asile, La Grande Cordée, la tentative des Cévennes, sont desréseaux : des antidotes à la concentration des pouvoirs et des identités, une manière d’éviter de « faire cible ». Le détour est une alternative à la « dérive » romantique post-surréaliste ; un parcours rallongé mais limité, qui conserve dans ses boucles la référence à un lieu. Par chevêtres, il faut entendre ces points de repère où le corps rencontre quelque chose ou quelque lieu déjà connu, plutôt que de se perdre dans l’infini d’une pensée trop large et de sensations trop intenses. L’orné qualifie la vision idéalisée, esthétique, de cette appréhension de l’espace.

Les expériences de Deligny sont par définition fragiles, éphémères, et doivent le rester pour rester vivantes. Elles naissent de ruptures dont il se plait à penser qu’elles sont le fruit des circonstances. Associant la formule favorite d’Henri Wallon (« L’occasion fait le larron. ») et l’attrait poétique du hasard, il fait de l’idée de circonstances un véritable mot d’ordre, contre le lien logique de cause à effet. Il définit l’éducateur comme un « créateur de circonstances », prêt à accueillir l’« insu » d’où naissent de nouvelles configurations. Le réseau d’enfants autistes n’est pas une tentative mais plusieurs : la pratique des cartes, le tournage des films, l’organisation des « aires de séjour » sont autant d’essais interrompus ou relancés au bord de l’échec ou de la sclérose. Deligny y voit des « brèches », des « trouvailles », des « percées » : l’euphémisme est l’une de ses figures de style favorites. L’autre est la métaphore. Le radeau évoque l’hétérotopie bricolée grâce au savoir-faire et à la vigilance des personnages hors norme qui l’ont suivi dans ses aventures, Gisèle et Any Durand, Jacques Lin, Guy et Marie-Rose Aubert (pour ne citer que les plus proches) ; il évoque également une forme d’épopée réduite, à la limite du dérisoire, et parfois burlesque, sans commune mesure avec celle des œuvres qu’il admire, celles de Conrad, Melville, Cervantes, Stevenson. Le grand navire de l’asile est déjà un radeau ; l’ex-demeure bourgeoise du Centre d’observation et de triage (COT) de Lille également. Quelle qu’en soit la forme et l’échelle, l’image recouvre la réalité existentielle de ce que François Tosquelles appelle un « appareil à repriser ». Dans cette formule, la connotation artisanale est précise. La critique de Deligny ne porte pas sur la structure matérielle, spatiale et sociale, de l’institution, mais sur l’intégration de normes abstraites qui entravent l’invention, la « masse des possibles », et l’efficacité. Son réflexe de l’« esquive » évoque moins l’évitement que la stratégie qui consiste à tirer parti de la faiblesse de l’adversaire et de la confusion institutionnelle, pour subvertir les règles et confronter l’administration à sa propre corruption.

Son refus des spécialités (autre forme de fixation identitaire) est motivé par le même souci d’efficacité. Profitant du désordre de la guerre, il bouleverse l’organigramme de l’asile (plutôt que la hiérarchie : son meilleur allié est le médecin-chef Paul Guilbert) et intronise les gardiens « éducateurs ». Ce sont d’anciens ouvriers ou artisans : Deligny met à profit leur savoir-faire, leur résistance physique et leur disponibilité. Il se méfie des corporations et de l’allégeance à la technique et aux savoirs constitués. Le motif officiel de sa mise à pied du COT de Lille est le casier judiciaire chargé des moniteurs (ex-ouvriers, militants, syndicalistes, chômeurs). Il encourage l’ironie des « présences proches » – périphrase par laquelle il désigne les non éducateurs en charge des enfants autistes – à l’égard des approches livresques et techniciennes. Pour définir ce parti pris, il parle d’« initiative populaire ». La formule est ambiguë : elle évoque un événement collectif, alors qu’il y est question de « milieu », de l’origine sociale commune aux moniteurs et aux enfants. Son projet n’est pas révolutionnaire : « Je dis tout simplement qu’un radeau n’est pas une barricade et qu’il faut de tout pour qu’un monde se refasse. »

Il est lui-même le reflet de cette dé-définition. S’il écrit en permanence, avec le souci d’être publié, c’est aussi pour se déplacer, pour échapper à l’instrumentalisation, rappeler que la recherche trouve le chercheur au-delà (ou en deçà) de l’image dans laquelle on le fixe, sur le terrain mouvant et fragile de l’expérimentation. Il se désolidarise de l’auteur de Graine de crapule, estampillé « éducateur libertaire », mais continue de s’adresser aux travailleurs sociaux dans une langue volontairement étrange, qui creuse l’écart entre le texte et le destinataire, afin que s’y logent des questions sans réponse. Il écrit à Louis Althusser en septembre 1976 : « Dans notre pratique, quel est l’objet ? Tel ou tel enfant, sujet “ psychotique ” ? Certes pas. L’objet réel qu’il s’agit de transformer, c’est nous, nous là, nous proches de ces “ sujets ” qui, à proprement parler ne le sont guère et c’est pourquoi, ILS y sont, là. » Il renverse l’optique de l’éducation spécialisée, détourne l’objectif de l’enfant pour le braquer sur l’éducateur et plus généralement sur « l’homme-que-nous-sommes ».

À la fin des années 1930 – il est alors instituteur dans les classes spéciales – et au début des années 1940, il s’affilie encore, de loin, à la pédagogie moderne. Celle-ci commence avec le « faire œuvre de soi-même » d’Heinrich Pestalozzi, emprunté à l’idéalisme de l’action de Fichte et plus précisément au concept de Selbsttätigkeit (l’autoactivité, au double sens d’une activité produite par soi et d’une activité sur soi). Deligny figure marginalement dans cette histoire, qui s’adresse à des enfants « normaux », socialisables. Sa vocation est celle des enfants « arriérés, caractériels, déficients, délinquants, en danger moral, retardés, vagabonds, etc., etc. » (Adrien Lomme), et plus tard autistes, pour lesquels la référence psychologique à l’autonomie ne joue pas. « Les aider, pas les aimer » est la formule qui résume sa critique des « idéologies de l’enfance » (Pierre-François Moreau) de l’après-guerre, l’écart entre son approche ironique et mélancolique, et celle, idéaliste et chrétienne, du renouveau éducatif. Le réseau d’accueil et d’apprentissage destiné aux adolescents de La Grande Cordée est un prétexte à susciter de nouveaux événements, à éloigner le terrain pathogène plus qu’à générer de véritables vocations par le travail. Le jeu ou le dessin, autres points cardinaux des pédagogies nouvelles, n’ont pas de prise sur des enfants ou adolescents « désymbolisés ». La sensation du geste dans l’agir improductif, « pour rien », lui paraît garantir la reconstruction d’un corps plus sûrement que l’acquisition de conduites sociales. Il voit très tôt le cinéma comme un outil à mettre entre les mains des adolescents de La Grande Cordée : il imagine un film sans pellicule, une caméra stylo, qui transite d’un lieu à l’autre comme emblème d’un projet commun. Il confie la cartographie des « lignes d’erre » à des autodidactes. Malgré leur séduction graphique, ces transcriptions résistent au statut d’œuvre d’art, brut ou conceptuel. On imagine, dans quelques décennies (ou siècles ?), un chercheur face à ces documents ; il y verrait sans doute la trace de pratiques naïves, légèrement hallucinées, bruissant sous les grands discours du xxe siècle à propos de la folie.

Le domaine réservé de Deligny est l’écriture, directement branchée sur la vie qu’il partage avec les enfants, à distance. Il évite l’image pastorale du pédagogue. Il touche à tous les genres : la chronique, l’essai, la nouvelle, le conte, la prose poétique, le scénario. Un seul lui échappe : le roman. L’échec d’Adrien Lomme est un petit drame, qui ne se reproduit pas. Il cultive une image d’autodidacte qu’il n’est pas. Il dissimule son parcours universitaire, bref il est vrai : celui d’un étudiant contestataire de la bohême lilloise du début des années 1930, amateur de poésie et de cinéma d’avant-garde. Il lit beaucoup sans être de ces lecteurs passionnés pour lesquels la lecture est une seconde vie. Il a quelques œuvres de prédilection (Moby Dick etDon Quichotte) ; il a lu tout Conrad dont il possède les œuvres complètes. Avec le temps, la poésie (Michaux, Ponge, Artaud), occupe moins de place dans ses lectures. Il lit des romans policiers (Simenon et John Le Carré). Dans l’éthologie (les Souvenirs entomologiques de Fabre, Lorenz, Karl von Frisch) il retrouve le plaisir des « histoires ». La biologie l’intéresse davantage que la psychiatrie. Les textes d’Henri Wallon davantage que ceux de Foucault, Deleuze ou Guattari. Sa pratique des textes de sciences humaines est plus intuitive qu’analytique : il lit attentivement Leroi-Gourhan, Lévi-Strauss ou Clastres, mais parcourt Heidegger, Marx, Althusser ou Lacan ; il fait des sondages dans leurs textes, repère ce qui lui est utile ; argumente sur des extraits sans considérer l’ensemble. Sa lecture duDiscours sur la servitude volontaire de La Boétie est précise mais comme toujours orientée par ses propres obsessions. Le personnage de Wittgenstein l’intéresse au moins autant que l’œuvre. Il affiche une désinvolture à l’égard des textes savants ; il donne peu de références, cite de mémoire et dans le désordre.

En 1980, il publie un texte intitulé « Ces excessifs ». Les intellectuels, dit-il, ont des convictions ; ils assimilent la pensée des autres. Il confond intellectuels et idéologues. En choisissant l’asile, il veut renier son appartenanceà la classe des intellectuels petits-bourgeois. L’éducateur, dit-il, est un artisan, un manuel. Certains de ses textes frisent l’obscurantisme. Son refus de « comprendre », synonyme pour lui d’assimiler, de « semblabiliser », fonde son rejet massif de la psychanalyse. Son père est tué et porté disparu en 1917 ; l’enfant Deligny est pupille de la Nation. Il place sa première autobiographie, Le Croire et le Craindre, à l’enseigne du soldat inconnu. Il cultive l’idée d’anonymat plus que l’anonymat. Au début des années 1970, il devient un personnage de référence ; il a presque soixante ans ; son écriture témoigne d’une distance à l’égard des utopies (antipsychiatrie, communautés thérapeutiques, retour à la nature) dont il peut paraître l’emblème ; Graine de crapule et Les Vagabonds efficacessont encore lus et le créditent d’une autorité ; il est resté communiste tout en clamant son antihumanisme et sa critique de l’institution ; il se tient à distance du gauchisme fusionnel et bavard d’après Mai 68. Sa position intrigue et intéresse les intellectuels ; ils lui rendent visite, le sollicitent, confrontent leurs théories à son « terrain », leurs discours à son respect du silence. Ils vérifient auprès de lui l’échec de la critique frontale des pouvoirs et des savoirs ; testent les fondements de son rejet de la psychanalyse, au temps du Psychanalysme et de L’Anti-Œdipe ;s’interrogent sur sa pensée « inabsorbable » (Althusser) d’un individu non sujet, hors d’atteinte de l’idéologie ; mesurent leurs ambiguïtés politiques et institutionnelles à l’aune de son refus des compromissions.

La forme de son écriture confirme sa méfiance à l’égard des discours. Il privilégie les formes brèves. L’aphorisme est sa formule de base ; aprèsGraine de crapule, il l’adapte à l’ensemble des essais. Ses paragraphes sont courts, séparés de longs blancs qui tiennent lieu des scansions d’une pensée à voix haute, avec ses accentuations, ses retours, ses ellipses, ses répétitions. Les digressions infiltrent ses textes de plusieurs manières. À partir des années 1960, il fait référence au dictionnaire et à l’étymologie de façon quasiment systématique : moins pour rappeler le vrai sens que pour le déplier, pour dévier le cours du texte, articuler des réflexions et quantité d’anecdotes qui fondent la légende de son personnage, son roman et celui du réseau. Les fragments d’autobiographie surviennent sur le mode de l’association ; ils signalent une activité psychique permanente, une perméabilité de la pensée spéculative à l’image – la moindre image –, à ces petites unités que Deligny appelle « bribes », « copeaux », « débris », en référence à l’humain « en reste » et à la fragmentation de la perception autistique.

Tels sont l’activité et le style de Deligny, aux aguets des circonstances etinscrits sur le fond d’une permanence qui lui est nécessaire. Géographiquement, son parcours se partage en trois zones et trois moments : l’asile d’Armentières et ses activités à Lille dans le cadre de la Sauvegarde de l’enfance ; La Grande Cordée dont le premier épisode eut lieu à Paris et les suivants à travers l’est et le sud-est de la France ; le hameau de Graniers, dans les Cévennes, où il vécut pendant trente ans, sans en bouger, de 1968 à sa mort. Il n’a jamais quitté la France, ne parlait aucune autre langue que la sienne, ne regretta en rien l’expérience de cetteétrangeté-là. L’étrangeté, il la chercha ailleurs, à l’asile et au Parti communiste. Inscrit aux jeunesses communistes en 1933, il conserva sa fidélité au PCF jusqu’à sa mort (c’est à L’Humanité qu’il donna son dernier entretien, en juillet 1996). De militant, dans le contexte de son activité d’éducateur, à Lille, puis dans l’après-guerre pendant La Grande Cordée (dont tous les membres, sauf un, sont communistes), il devint à partir des années 1960 un compagnon de route plus lointain. Ses textes d’alors révèlent une véritable hantise des idéologies. La pensée du commun est un antidote au « social », qu’il définit désormais comme la promotion et « la prolifération des privilèges ».

L’histoire le lâcha et il lâcha l’histoire au début des années 1960. Le moment coïncide avec la fin de La Grande Cordée et, symboliquement, avec la mort d’Henri Wallon : le seul, parmi les communistes intransigeants de l’association, qui admît son indépendance, son « communisme très, très insuffisant ». Il est déchiré entre un refus viscéral de l’anticommunisme, et un désaccord profond avec le conditionnement idéologique du PCF. À la même époque, il abandonne la prise en charge des adolescents et entame, hors tout appareil institutionnel, une recherche sur les formes de langage non verbal. Sa rencontre en 1966 avec Janmari, « encéphalopathe profond », le détourne définitivement de l’engagement et de l’histoire, et le réconcilie avec lui-même. L’autisme profond de cet enfant-là, son retrait absolu du langage et son charisme éveillent en lui une vocation que n’aurait sans doute éveillée aucun autre enfant. Il voit en ce « jumeau de Victor de l’Aveyron » la marque de la permanence de l’espèce, le signe d’une humaine nature sans manque, débarrassée de la tyrannique réciprocité du désir, unindividu inné, étranger à l’angoisse de la mort.

L’œuvre de Deligny est hantée par la trace. Il la suit, d’expérience en expérience, par touches. Il ne cherche pas l’objet de la trace (il a disparu). L’humain, le reste, n’est qu’une trace. Elle circule dans son œuvre sous la forme de la ligne, de l’écriture ou de l’image ; quand elle s’efface, c’est pour être reprise, indéfiniment reprise, dans un présent toujours renouvelé, toujours . Le tracer infinitif est la forme accomplie de cette permanence qui ne renvoie à rien d’autre, à aucun Autre. La performance des vingt-six versions et des deux mille cinq cents pages manuscrites de L’Enfant de citadelle associe l’autofiction, dégagé du travail d’anamnèse, et l’absorption de l’histoire dans une trace sans fin ni destinataire.

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Ce recueil paraît un peu plus de dix ans après la mort de Deligny, quand tous ses livres (hormis Graine de crapuleLes Vagabonds efficaces, et les derniers aphorismes, Essi et Copeaux) sont épuisés. Il rassemble pour la première fois l’essentiel de son œuvre : de Pavillon 3, son premier livre, paru pendant la Seconde Guerre mondiale, aux textes sur l’image des années 1980. Il s’achève (en forme d’invite) sur quelques pages manuscrites de sa dernière et monumentale tentative, L’Enfant de citadelle. Au fil de ces mille huit cent cinquante pages, Deligny reste ce qu’il fut, un instituteur, un éducateur, un intellectuel sans discipline assignée, un inventeur.

Le temps et la connaissance incomplète de son œuvre ont fixé un malentendu : il y aurait un Deligny éducateur, militant de la Sauvegarde de l’enfance et communiste, et un Deligny plus spéculatif, « poète de l’autisme », réfugié dans les Cévennes à l’abri des luttes institutionnelles. Cette séparation est grossière ; elle tient à l’hermétisme des disciplines et à la survivance de préjugés contre l’« art » comme institution ou domaine esthétique. Elle tient également à une donnée (acceptée et acceptable dans les années 1970) que notre époque refuse : Deligny parle d’autisme sans être psychiatre ; pire, peut-être, il accueille des autistes sans intention de les guérir. « Il aménageait la vie d’autiste » dit-on de lui. Les périphrases (mutisme, vacance du langage, etc.) ne font que compenser nos difficultés à reconsidérer les frontières entre le normal et le pathologique. Il s’est toujours agi pour Deligny de faire « cause commune » avec des enfants (ou adolescents), de leur éviter la prison ou l’hôpital psychiatrique, la souffrance, l’inhumanité de la réclusion ; d’adopter leur point de vue plutôt que celui des instances éducatives, médicales ou juridiques ; de définir un milieu adaptatif plutôt qu’un ensemble de règles abstraites ; de préférer l’invention à la compassion philanthropique, ou au narcissisme des « marges » des années 1960 célébrées par une intelligentsia très urbaine et éloignée des réalités. Il ne s’agit pas pour autant de sous-estimer l’intérêt de sa stratégie institutionnelle au COT de Lille ou durant La Grande Cordée ; ou de réinterpréter, comme il a tendance à le faire lui-même, ses tentatives des années 1940 à la lumière de son rejet du langage.

« Journal d’un éducateur », paru dans le premier numéro de la revueRecherches fondée par Félix Guattari, est le premier signe de ce désaveu de l’histoire. La chronologie du récit est cassée, les épisodes de l’asile, la guerre et le Parti communiste, éclatés et absorbés dans une perception sans référence au temps et à l’espace, annulés dans l’expérience de la folie et de la mort. Ce texte sert de prologue au recueil. Deligny l’écrivit en 1966, à la clinique de La Borde. Il avait cinquante-trois ans ; il avait déjà passé trente ans avec des enfants et adolescents arriérés et caractériels ; il en passera trente autres avec des enfants autistes.

 

Asiles

La présentation chronologique de ses œuvres a l’avantage d’ordonner un matériau complexe de textes, articles, numéros de revues, dessins, cartes, photographies, films. La profusion est la marque d’une œuvre expérimentale qui vise le geste et l’activité plus que l’objet. Le recueil est composé de cinq parties. La première, « Asiles », porte sur dix ans d’activité et de publications. D’instituteur dans les classes spéciales à Paris, Deligny devint éducateur, à Armentières, pendant la guerre. L’Association régionale de sauvegarde de l’enfance et de l’adolescence (Arsea) le missionna ensuite pour prendre la direction d’un plan de prévention de la délinquance, puis celle du premier COT de Lille. Il se distingue aussitôt par ce que Michel Chauvière appelle une « triple dissidence » : à l’égard du régime éducatif, du mode de recrutement des éducateurs et de la division du travail entre les institutions habilitées. Son premier livre, Pavillon 3, paraît en 1944. L’éducateur-écrivain n’a pas encore trouvé son style ; l’écriture hésite entre une prose poétique surchargée de métaphores et la langue parlée. Sa tentative d’écrire pour des adolescents délinquants, épileptiques, psychotiques, est maladroite ; mais il faut la considérer comme un témoignage sur l’internement asilaire dans le milieu du prolétariat. Le roman social et populiste des années 1930 – auquel s’apparente Pavillon 3 – écartait du tableau de la misère humaine les « voix d’en bas » qui n’ont rien à faire valoir, ni force de travail, ni capacité de lutte, ni droit moral.

La parution de Graine de crapule, en 1945, attira l’attention sur cet éducateur dont la voix s’élevait contre la Sauvegarde de l’enfance mais également contre l’esprit paternaliste et « protectionnel » (Dominique Youf) de l’ordonnance de 1945. La préface inédite (1955), prévue pour une première réédition, montre la réticence de Deligny à l’égard des aphorismes qui l’ont rendu célèbre. Il critique ses propres « formules » paradoxales ; y apparaît un personnage fragile, hanté par ses origines sociales, et par une sensibilité littéraire qui, dit-il, l’éloigne du peuple. Il convie l’éducateur à « traquer dans les phrases […] l’adroit petit-bourgeois », le « charlatan de bonne volonté ». Les Vagabonds efficaces, chronique de son séjour au COT de Lille, parut trois années après Graine de crapule, en 1948. Le réquisitoire contre la société qui juge et enferme est violent, révolté par l’écart entre la misère des « taudis » et l’abstraction institutionnelle. Deligny met en garde les premiers éducateurs contre la normalisation et l’emprise de la morale qui masquent la cause sociale de la délinquance. Les Vagabons efficacesconfirme sa réputation d’éducateur-écrivain, fait exceptionnel pour l’époque. Les contes des Enfants ont des oreilles publiés en 1949 au Chardon rouge, éphémère maison d’édition fondée par Deligny et Huguette Dumoulin, rappellent qu’il fut également instituteur, partisan distant des méthodes d’éducation nouvelle. Le jeu de la mise en page, l’utilisation du dessin, donnent du personnage un nouvel aperçu : sa fantaisie grinçante, son parti pris des choses « au rebut » (l’anti-conte de fées). La reproduction en fac-similé rend compte de l’originalité de ce petit objet. Nous l’avons jugé plus significatif que Puissants personnages, (paru trois ans plus tôt), sorte de conte ou de fantaisie troubadour, rêverie palliative, peu consistante au dire de Deligny lui-même.

 

La Grande Cordée

La deuxième partie porte le titre de l’association « de prise en charge en cure libre » fondée en 1948, La Grande Cordée. Avec Les Vagabonds efficaces, Émile Copfermann, éditeur chez François Maspero, réédita trois articles de Deligny qui décrivent l’expérience sous différents angles. Nous les reprenons, avec la préface de Copfermann, de préférence à d’autres moins synthétiques et plus techniques, parus dans les revues institutionnelles, Sauvegarde de l’enfance ou Rééducation. Pendant cette période, Deligny écrit peu. Il consacre tout son temps à la survie de l’association, qui se heurte au secteur dominant de l’enfance inadaptée, à la prévalence « du diagnostic et du pronostic » (Annick Ohayon), et à l’inertie calculée de la Sécurité sociale. Les débuts de la guerre froide affaiblissent le PCF dont sont membres tous les fondateurs de La Grande Cordée. En 1955, il quitte définitivement Paris pour une période instable de dix ans. Le témoignage précis d’Huguette Dumoulin, cheville ouvrière majeure de l’association, et la correspondance de Deligny avec Irène Lézine, communiste intransigeante et biographe d’Anton Makarenko, ont permis de reconstituer les étapes de la « diaspora » de La Grande Cordée en milieu rural ; comme celles, parallèles, de l’écriture d’Adrien Lomme, le seul livre de Deligny paru dans les décennies 1950 et 1960, et son seul roman. La difficulté à maîtriser la fiction et la distance qui le lie aux personnages le fera renoncer au genre ; la dénonciation des approches de l’éducation spécialisée et du « mythe psychiatrique » est trop amère pour être objectivement prise en compte ; mais, un peu à la manière de Pavillon 3,Adrien Lomme restera une chronique romancée de l’arriération dans les campagnes françaises après la guerre, et de l’impuissance des structures de prise en charge, privées comme publiques.

Les Centres d’entraînement aux méthodes d’éducation active (Ceméa) furent, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, l’un des instruments de cette « autre politique » (Pierre-François Moreau) qui se substitue à celle de l’État en matière d’éducation, de culture, et de santé mentale. Les Ceméa offrent à Deligny leur réseau et leur logistique, se proposent de faire connaître La Grande Cordée ; ils s’identifient à ses projets, font de son personnage l’un des emblèmes de leur programme. Les quelques documents et commentaires rassemblés ici résument un état d’esprit : le culte du groupe, du corps, de la vie de plein air, de l’amitié ; les stages, les activités manuelles, la lutte pour l’amélioration des conditions de vie des malades mentaux, Jean Vilar, le Théâtre d’Avignon… L’histoire de Deligny a croisé celle des Ceméa ; mais il ne partage pas plus leur humanisme chrétien qu’il n’adopte la perspective de l’homme nouveau d’Anton Makarenko. « Il ne croyait pas beaucoup en l’action collective », dit de lui Jacques Ladsous. 

 

Légendes du radeau

Les six cents pages de la troisième partie forment le centre du recueil. Elles relatent les années les plus expérimentales et les plus inventives du réseau d’enfants autistes. Après le tournage du Moindre geste, Deligny passe deux ans à La Borde, invité par Jean Oury et Félix Guattari. Il est mal à son aise dans « l’univers concerté et parlé » (Anne Querrien) de la clinique. Il réalise les trois premiers numéros des Cahiers de la Fgéri(Fédération des groupes d’études et de recherches institutionnelles), avec un sens inspiré du bricolage graphique (à partir du numéro 4, auquel il ne participe pas, les Cahiers deviennent une suite de discours militants). Ces carnets de notes, publiés de manière confidentielle en marge de la revueRecherches, sont sa seule participation à l’effervescence « groupale » des années 1967-1968, autour de Félix Guattari et de la psychothérapie institutionnelle. Le numéro 2 contient un texte important, « Langage non verbal », qui formule de manière encore tâtonnante les modalités conceptuelles et pratiques du futur réseau d’enfants autistes.

Les ouvrages suivants, Nous et l’Innocent, les trois Cahiers de l’Immuable(intégralement reproduits en fac-similé) et Le Croire et le Craindre, publiés entre 1975 et 1978, ont vu le jour grâce à Isaac Joseph. Nous et l’Innocentest le premier ouvrage de Deligny depuis Adrien Lomme, et le premier des quatre livres publiés par Émile Copfermann dans la collection « Malgré tout » chez Maspero. Deligny a définitivement rompu avec le militantisme social. Il vit dans les Cévennes, près de Monoblet, depuis 1968. Il engage une nouvelle tentative avec des enfants autistes et entame sa longue croisade contre le langage. Il invente un dispositif spatial, des coutumes, une cartographie, une langue. Les Cahiers de l’Immuable livrent une chronique en temps réel du réseau, en donnant une large place aux tracés et à la photographie. Isaac Joseph convoque des interlocuteurs, replace la pensée de Deligny au cœur des débats intellectuels autour de la psychiatrie. Dans les mêmes années, Renaud Victor réalise Ce Gamin, là. Le succès du film complète la « publicité » du réseau et relance les débats sur la prise en charge de l’autisme dans le milieu du travail social.

Deligny continue d’écrire, incessamment. Isaac Joseph trie, structure, rassemble des textes épars, des extraits de correspondance et d’entretiens. Il en tire la première autobiographie de Deligny, Le Croire et le Craindre. Son émouvante postface le montre aux prises avec les contradictions de l’auteur ; il est l’un des seuls à le penser comme un écrivain et à le replacer dans une histoire contemporaine de la philosophie et de la littérature (Deleuze, Duvignaud, Hermann Hesse) ; en pleine période de « récupération » des expériences alternatives, il l’appelle au secours des travailleurs sociaux. En préambule à Le Croire et le Craindre, nous publions un court texte inédit, qui explicite les deux mots du titre, « Croire » et « Craindre », et annonce les thèmes de la décade suivante. Deux ans plus tard la publication de I Bambini e il silenzio aux éditions Spirali (dirigées par Armando Verdiglione), associe Deligny aux Lacaniens et à l’antipsychiatrie italienne. Le recueil est repris la même année en français : Les Enfants et le Silence contiennent (comme la version italienne) un ensemble d’articles pour la revue Spirali et la reprise intégrale des textes des Cahiers de l’Immuable/3. Parallèlement, il publie dans la revue Spirales (antenne française de Spirali) avec John Cage, Noam Chomsky, Jean Oury, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute, Philippe Sollers, Thomas Szasz, François Tosquelles… Nous aurions voulu reprendre quelques-uns de ces textes. Nous y avons renoncé faute de place ; comme nous avons renoncé, provisoirement, à publier un inédit de la même époque (« Quand le bonhomme n’y est pas », 1978) qui confirme les affinités de la pensée de Deligny avec celle de Lacan, quant à la notion de réel. 

 

L’agir et le faire

Entre 1978 et 1983, Deligny publie sept livres. Nous en avons retenu trois, édités coup sur coup par Émile Copfermann chez Hachette, dans la collection « L’échappée belle » : Les Détours de l’agir ou le Moindre geste,Singulière ethnie et Traces d’être et Bâtisse d’ombre. Avec Projet N, le film réalisé par Alain Cazuc, les trois livres composent la quatrième partie ; ils furent pilonnés quelques mois après leur parution et sont donc quasiment inédits. Cette trilogie concentre la part la plus spéculative de la pensée de Deligny. Il s’appuie sur l’ethnologie (Lévi-Strauss et Clastres) et la critique de l’ethnocentrisme pour redire (à propos de l’autisme et à la suite des camps de concentration dont il ne parle jamais directement) son rejet de la discrimination entre « espèces vivantes humaines et non humaines » (Lévi-Strauss) ; pour articuler « la reconnaissance de la déficience et la pensée d’une nature humaine » (Bertrand Ogilvie) ; pour invoquer, enfin, moins le retour que la présence éternellement ressuscitée d’un antan pacifié, lumineux, temps des pierres et des traces. Dans sa postface à Traces d’être et Bâtisse d’ombre, s’inspirant de Heidegger et Jean Giono, Jean-Michel Chaumont situe l’antan de Deligny du côté de la tradition (et non des ancêtres), d’un temps abstrait et non personnifié.

En 1980 paraît Traces d’I, un ouvrage en deux parties, dont Jean-Michel Chaumont est l’auteur des cent vingt premières pages ; les textes de Deligny traitent des mêmes thèmes que ceux de la « trilogie Hachette ». Nous avons privilégié la cohérence de la trilogie, ce qui était aussi une manière de saluer le travail d’éditeur d’Émile Copfermann. Celui-ci publiait la même année un quatrième livre chez Hachette : La Septième face du dé, étrange autofiction interprétée par Roger Gentis comme une métaphore de l’« impensable psychotique ». Malgré la singularité du récit, et les clefs qu’il livre entre les lignes sur la hantise de la disparition du père, nous avons renoncé à le rééditer. Le retour au décor de l’asile et la reprise d’une écriture narrative et réaliste auraient alourdi la structure du recueil.

Entre 1980 et 1985, Deligny écrit quatre essais de plus, d’inégale importance et tous inédits : L’Arachnéen, et Lointain prochain constitué deLettres à un travailleur socialLes Deux mémoires, et Acheminement vers l’image que nous publions dans la cinquième partie. « L’arachnéen » (ou, si l’on veut, l’être a-conscient) accomplit la métaphore du réseau selon une définition éthologique : une forme complexe, innée, ritualisée, agie sans vouloir, anti-utilitaire ; qui procède de l’entrevision, dit-il, citant Vladimir Jankélévitch.Les thèmes (agir, vouloir, pouvoir) sont voisins de ceux deSingulière ethnie et l’approche visionnaire anticipe celle de Traces d’être et Bâtisse d’ombre. Le cas de Lettres à un travailleur social est différent. Deligny ne se reconnaît pas dans les questions des travailleurs sociaux ; il se définit comme « poète et éthologue ». Il mobilise Wittgenstein, la philosophie des faits, du tacite, de l’innommable. Il reprend la métaphore de l’asile : « asiler l’individu », dit-il, plutôt que « materner le sujet ». Il vise encore une fois la psychanalyse, son confort et son assujettissement à la norme du langage. « Éloge de l’asile » et « A comme asile », deux essais complémentaires (parus en 1999), sont de la même veine.

 

Ce qui ne se voit pas

La cinquième et dernière partie du recueil est constituée de deux textes inédits et d’un film peu connu, Fernand Deligny. À propos d’un film à faire. Deligny s’achemine vers une pensée de l’image-trace, enregistrée dans la mémoire d’espèceune « vera iconica délivrée de l’emprise du regard » (Jean-François Chevrier). Il est âgé. Sa pensée est de plus en plus abstraite et de plus en plus éthérée. Il écrit « Camérer » (dont il existe plusieurs versions) et Acheminement vers l’image, un essai de toute première importance, qui place sa réflexion au diapason de celle des grands cinéastes contemporains : Marguerite Duras, Jean-Luc Godard, Jean-Marie Straub et Danièle Huillet, pour qui l’image n’a lieu qu’à condition de toucher au réel, et pour qui le réel est inséparable de la réalité des faits politiques, c’est-à-dire d’un ensemble de rapports de pouvoir. Inédit jusqu’à ce jour,il révèle un Deligny « moderne », prenant place et position dans une histoire de l’image qui commence avec les avant-gardes. Il cite Jean Epstein. On découvre qu’il a aimé le cinéma de Man Ray, alors qu’on le croyait exclusivement du côté des Russes ou de l’ontologie bazinienne. Mais l’image garde pour lui quelque chose d’enfantin, de primitif ; la manière dont elle apparaît tient pour lui de la réminiscence, de l’infraverbal, de l’éblouissement silencieux de la lanterne magique.

Plutôt que de publier un second texte inédit (Les Fossiles ont la vie dure) qui développe les thèmes d’Acheminement vers l’image, nous avons pris le parti de lui associer les extravagantes « enluminures » des Contes du vieux soldat et de belle lurette, écrit dans les mêmes années, et également inédit. Deligny a écrit une vingtaine de contes, et plus si l’on tient pour des contes quantité de petites nouvelles à valeur de parabole. Accompagné de sa « tribu » (l’araignée, le boulet, la Maritorne, le marin norvégien, etc.) le vieux soldat des Contes part à la recherche de sa ville natale où l’attend un « emploi réservé ». On retrouve dans un genre hybride et inventé, qu’on pourrait qualifier de « merveilleux trivial », les thèmes des essais. On reconnaît également, quarante ans après Les Enfants ont des oreilles, l’empathie de Deligny pour les choses au rebut, son goût d’un burlesque chaplinesque, et le rêve de l’éternel retour.

Le recueil des œuvres de Deligny s’achève sur une vingtaine de pages manuscrites de L’Enfant de citadelle. L’écriture est fine et cursive, pressée par le temps et la poussée de la mémoire. Elle s’adresse à « qui-me-lit », la mère peut-être, Louise, morte en 1950, dont le soliloque (« Louise était les autres […] Louise était innombrable… ») a comblé et envahi l’enfant pendant leur séjour imaginaire à la citadelle Vauban. Autour d’elle une théorie de personnages surgis de la guerre, de l’asile, des années d’enfance à Bergerac et d’adolescence à Lille. Le manuscrit est inachevé. Il n’est pas le dernier. Avant de mourir, le vieil éducateur, assis devant la fenêtre de sa chambre de Graniers, écrit ses derniers aphorismes, Essi (Et-si-l’homme-que-nous-sommes) et Copeaux (récemment parus).

***

Sans compter L’Enfant de citadelle, Deligny laisse environ trois mille pages inédites. Que sont ces pages ? Des essais, des récits, des scénarios, des pièces de théâtre, des contes, de la correspondance. Tout ne méritait pas la publication. La correspondance est immense. Nous n’avons eu accès qu’à celle qui commence dans les années 1950, avec La Grande Cordée. Deligny ne s’y confie guère. Tout se passe comme si sa vie privée ne l’intéressait (ou n’intéressait l’interlocuteur) qu’au travers de quelques faits : untel est venu, untel est parti, untel est né ; nous allons bien ou mal, sommes de plus en plus pauvres, ou satisfaits d’avoir reçu la caméra. Il conçoit plutôt la correspondance comme une suite à ses échanges intellectuels : avec Louis Althusser, Jacques Nassif, Isaac Joseph, Jean-Michel Chaumont, Marcel Gauchet. Sa correspondance avec Émile Copfermann, son éditeur, avec Françoise Dolto ou d’autres médecins en charge des enfants en séjour dans les Cévennes, est à peine plus circonstancielle. Il écrit régulièrement aux parents des autistes, parle avec précision de chaque enfant et continue d’argumenter sur ses « positions » (c’est l’une des contradictions soulevées par Isaac Joseph : « l’homme sans convictions » est un prosélyte). La correspondance est donc un complément précieux de ses textes, mais l’espace manquait pour la publier ici. (Celle avec Althusser est particulièrement riche, mais on ne dispose pour l’instant que des lettres de Deligny.)

Nous ne donnons pas les « Œuvres complètes » de Fernand Deligny ; nous proposons une sorte de bréviaire substantiel. Les images y occupent une grande place. Elles reflètent l’intérêt que Deligny leur porte depuis toujours, moins en tant qu’« objets » (il n’est pas ce qu’on appelle un « amateur d’art »), que comme medium d’expérimentation. À la première occasion, il s’essaie au dessin, aux jeux typographiques et à la mise en page. Il réalise lui-même les Cahiers de la Fgéri, et les Cahiers de l’Immuable avec Isaac Joseph et Florence Pétry. L’investigation de la ligne, du trait, du tracé, procède pour lui comme pour Michaux d’une expérience dedéconditionnement. À la fin des années 1950, il découvre, au cours de ses séances de dessin avec Yves G., la possibilité de contenir par le trait le monologue sempiternel du psychotique. L’idée dérive progressivement jusqu’aux « lignes d’erre », qu’il considère comme sa principale invention. Deleuze et Guattari les placent à l’origine du concept de rhizome. LesCahiers de l’Immuable/1 s’ouvrent sur la cartographie : les reproductions sont accompagnées de légendes allusives de Deligny. Pour lui il s’agit de « voir » et non de comprendre. Ce système de transcription est codé mais déchiffrable. La plupart des cartes ont été perdues. Nous en avons rassemblé quelques-unes parmi celles qui ont survécu : leurs qualités proprement graphiques révèlent la part de simulacre et de sublimation d’une pratique qui prétend exorciser le langage.

La photographie, autre trace, intéresse également Deligny. Elle fixe l’image sans l’objectiver. Elle appelle des légendes. Comme les cartes, elle lui permet de « voir », à distance (il ne se rend pas sur les aires de séjour). Quatre films ont été réalisés à propos des tentatives de Deligny ; ils font partie intégrante de son œuvre. Il fallait les montrer, pour leur valeur de documents, mais également en tant que films, selon une forme qui évoque autant que possible la leur, leur progression narrative, leur rythme, le montage, la fonction du son et de la voix, le texte de la voix. Le Moindre geste est un film plastique, envahi par la présence du corps d’Yves G. et celle du paysage des Cévennes. La complexité du montage et la diversité des focales appelaient une mise en page dense et mouvementée, la lumière des blancs et des noirs forts. Le monologue du personnage colle physiquement aux images ; le texte, transcrit mot à mot, est en soi un morceau d’anthologie. Ce Gamin, là est aussi linéaire et silencieux que Le Moindre geste est baroque et bruyant ; aux avatars de la fiction succède le calme d’un document idéalisé, centré sur Janmari. L’image est peu contrastée, d’un lyrisme absorbé, soutenue par la voix de Deligny. Projet N,suscité par une commande de l’INA, est, des quatre, le seul reportage classique, en couleur. La mise en page met l’accent sur quelques séquences descriptives, qui font du film un précieux outil d’analyse du mode de vie du réseau. La mise en page d’À propos d’un film à faire est composée sur deux registres, correspondant à l’utilisation respective du noir et blanc (dévolu aux bribes de fiction) et de la couleur (Deligny assis dans son bureau, livrant ses dernières réflexions sur les rapports entre langage et image). Au fil des quatre films l’image « qui ne se voit pas », « ne se prend pas », se retire dans l’imagination et la mémoire de l’écrivain-conteur, pour retourner dans les plis de l’écriture tracée de L’Enfant de citadelle.

***

Textes et films sont précédés d’introductions qui les situent à l’intérieur de la trajectoire de Deligny. Accompagnées de la première véritable chronologie de son œuvre, d’une bibliographie exhaustive, d’une iconographie documentaire et librement interprétative, elles tracent la biographie d’un personnage. Sans chercher à défaire la part de légende qu’il a volontairement entretenue, ces introductions rétablissent une partie des faits historiques sur le fond desquels son action et son œuvre apparaissent. L’enjeu de ce recueil est d’exposer une activité portée par une imagination constante, la faculté d’adaptation d’une pensée confrontée à des situations d’urgence (« tirer d’affaire des enfants fous ») et un ensemble d’objets littéraires et d’images. L’œuvre porte la marque de cette double exigence. Le rassemblement de ses textes ne révèle pas un « grand » écrivain. Deligny renonça assez tôt à le devenir. L’entrée en littérature était incompatible avec l’investissement et les risques quotidiens de la prise en charge, institutionnelle ou non.

Deligny a pris le risque de l’expérimentation et de l’échec. Il a défait pour rendre visible. Le temps, l’attente d’une image juste (ou d’une situation juste : sa morale des « circonstances »), résument sa recherche d’un mode d’être. Dans les années 1960, il propose des alternatives au culte du collectif et de la liberté d’expression, dans lequel il voit poindre l’hypostase du sujet psychologique et consumériste : cet « autre » dont on flatte la « différence » pour différer le trouble de ne pas être soi, et dont on recueille la parole pour masquer l’inhumanité de la société libérale. Ses propositions d’alors sont délibérément à contre-courant de l’histoire. Il critique la démocratie (« la délibération reproduit de l’institution », dit-il) et les droits de l’homme. Il leur oppose sa « singulière ethnie », comme outil de réflexion et non comme modèle. Dans les pratiques du réseau il a recours à l’art, qu’il définit comme un geste pour rien et comme une mémoire des formes. À l’époque de la déterritorialisation et du non-lieu, il restaure la notion de territoire ; mais un territoire non identitaire, un lieu où vivre, se repérer dans l’espace, éprouver son corps et étranger l’autre. Contre l’illusion libertaire de Mai 68, il propose de restaurer le principe d’autorité : une autorité fondée sur la reconnaissance et sur l’efficacité. Deligny était un homme d’ordre, dit de lui Jacques Allaire. L’actualité de Deligny est donc sa permanente inactualité : le repère de l’humain lui permet de penser et d’agir en avance sur son temps.

Ces partis pris sont issus d’une critique du langage qui a conduit Deligny à vivre avec des enfants autistes. Il a justifié son refus de toute forme d’échange par la parole ou le regard (ce que Geneviève Haag, spécialiste des psychoses infantiles, appelle la « rencontre dans le regard », supposée amorcer la reprise d’une relation et la stabilisation de l’axe du corps) en plaçant le réel au-dessus de tout, dans une constellation de perceptions hallucinées, sans correspondances dans l’inconscient. Une telle approche n’a pu se développer qu’à partir de l’observation d’autistes profonds, atteints de troubles tels que l’accès à la parole était définitivement compromis. Les enfants revenaient apaisés de leurs séjours dans les Cévennes : toutes les familles, sans exception, l’ont reconnu. L’apaisement des souffrances de Janmari, le fait qu’il pût vivre non pas sa vie mais une vie, sont inscrits entre les lignes de ce livre.

(Tous droits réservés)

 

 

 

Œuvres-Descriptif-Présentation

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45 €

LIVRE-AUTEUR

1856 pages
(dont 424 de facsimilés)
557 images
Format : 16,7 x 21,6 cm
Reliure souple
ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

Édition établie et présentée par
Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
Jean-François Chevrier

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Œuvres

Les Œuvres de Fernand Deligny (1913-1996) reconstituent en 1856 pages de textes, images, fac-similés, les étapes d’une trajectoire qui conduisit cet éducateur sans diplôme de la lutte contre l’institution “Sauvegarde de l’enfance” à une approche expérimentale de l’autisme. L’ouvrage rassemble l’essentiel de son œuvre, éditée et inédite : de Pavillon 3, ses premières nouvelles (1944), aux textes sur l’image des années 1980 et à l’évocation de sa dernière et monumentale tentative autobiographique, L’Enfant de citadelle.

L’écriture fut pour Deligny une activité constante, existentielle, le laboratoire permanent de sa pratique d’éducateur. Ses premiers livres sont des pamphlets contre l’”encastrement” institutionnel et contre l’approche psychopédagogique qui anime la politique rééducative de l’après-guerre et dans laquelle il voit très tôt s’annoncer la “société de contrôle”. À partir de la fin des années 1960, il engage une réflexion anthropologique contre la “domestication symbolique” et pour une définition de l’humain a-subjectif, spécifique, dépris de lui-même. Il accueille des enfants autistes dans les Cévennes et invente un dispositif : un réseau d’aires de séjour, des éducateurs non professionnels, un “coutumier” ritualisé à l’extrême, inspiré de l’agir et de l’immuable autistiques. Il invente une cartographie, les fameuses “lignes d’erre”, se saisit du cinéma pour remettre en cause le point de vue hégémonique de “l’homme-que-nous-sommes”.

Le volume – chronologique – s’accompagne d’une édition critique détaillée : les textes et films en images sont précédés d’introductions (Sandra Alvarez de Toledo) qui les replacent dans leur contexte historique et dans la biographie intellectuelle de Deligny ; chacune des cinq parties de l’ouvrage se conclut par un texte (Michel Chauvière, Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie, Jean-François Chevrier) qui dégage les lignes de force de sa pensée au cours de ses tentatives successives.

À part le milieu de l’éducation spécialisée, qui célébrait encore Graine de crapule comme le petit livre rouge de la pédagogie libertaire, et quelques philosophes à qui le Mille plateaux de Deleuze et Guattari rappelait vaguement son nom, Fernand Deligny était oublié. La parution des Œuvres, en 2007, lui a donné une seconde vie. Il est désormais lu et traduit en plusieurs langues ; sa pensée est étudiée sous ses multiples angles, pratiques, théoriques, artistiques ; sa proposition de considérer l’homme du “point de voir” de l’autiste et de créer de nouveaux modes d’être et d’existence est prise en compte par ceux que les ravages du capitalisme incitent à changer de perspective, à inventer de nouveaux espaces de lutte, de recherche et de vie. La réédition, dix ans plus tard, est à quelques points près identique à l’édition originale. On trouvera en fin de volume, comme un signe qui salue cet anniversaire, un court texte supplémentaire, inédit, “L’homme sans convictions”.

 

 

Hallucination-Descriptif-In English

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Couv_Hallucination
48 €

LIVRE-AUTEUR

688 pages
189 images (en couleur)
Format : 22×17 cm
Couverture rigide
ISBN : 978-2-9529302-9-1
Date de parution : septembre 2012

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Whoever Wants it
Jean-François Chevrier talks to Mark Sadler about his book, L’Hallucination artistique  
Frieze, n°153, march 2013


Mark Sadler
: Let’s begin by discussing your new book, Artistic Hallucination from William Blake to Sigmar Polke – who did you write it for?

Jean-François Chevrier: The answer is simple: the book is à qui veut – for whoever. I used this expression, which was one of Mallarmé’s, as the title of my introduction to the catalogue which accompanied the exhibition of his work that I curated in 2004–05, about the impact of his poetics on modern art. ‘For whoever’ means the book was written without a target audience in mind, which is the opposite of how the mass media works.

MS: At 670 pages, it’s a hefty publication. How do you envisage readers tackling it?

JFC: To cite Mallarmé again, I have no wish to pander to a reader’s need for simplification. I’ve written a book that doesn’t allow you to be a neutral bystander. You have to dive in, to become ‘hooked’, as Gustave Flaubert would say. The book is written for anyone who wants to learn; it’s written against the effects of neo-pop, which has created an amnesia with regard to the history of art before the 1960s; and, finally, I have written it for people who don’t want to choose between art and literature.

MS: People like you?

JFC: Yes, I’ve always been interested in the relationship between art and literature and, although I ended up in art history, I would rather not have had to make that choice, and to have operated instead between art and literature. In this book, I treat the two as equals: I don’t want to write nice literature about art. I want to stay close to the artistic activity itself.

MS: It might be useful for the purposes of this discussion to define ‘hallucination’ and, more specifically, ‘artistic hallucination’. 

JFC: Hallucination is a critique of reality, whereby the mind produces the effects of actual perception: your field of vision is replaced by another that appears as real as the reality it stands in for. The term ‘hallucination’ was first used at the start of the 19th century to denote the main area of study of a new branch of medicine then known as ‘alienism’ – due to its concerns with alienated madness and its sufferers – and later referred to as psychiatry. Hallucination was the core around which this discipline was constructed since, in the early 1800s, anyone who suffered from hallucinations was considered mad. Once the adjective ‘artistic’ is added, you leave the psychiatric register and move into another institutional structure: art. But I’m not the first to make that shift – that was Flaubert, in a letter to the philosopher and physiologist Hippolyte Taine, who had questioned him on the link between the hallucinations he was subject to and the artistic imagination that was at work when he wrote his novels. Flaubert answered by making a clear distinction between pathological and artistic hallucination, although that doesn’t erase the ambiguity: the latter is still related to the former.
The notion of ‘artistic hallucination’ has already been elaborated upon by the British literary historian Tony James [Dream, Creativity and Madness in 19th-Century France, 1995]. He was the first to point it out and to reposition Flaubert’s invention within the history of the relationship between psychiatry and literature. I’ve simply expanded upon James’s argument and extended it into the visual arts. 

MS: There seem to be two possible outcomes of hallucination: ecstasy or suffering. 

JFC: Here we come back to Flaubert, who distinguishes between joy and terror. This is fundamental for him since it allows him to separate pathological hallucination, which operates on the side of terror, from artistic hallucination, which is joyful. 

MS: What are the mechanics of hallucination?

JFC: The basis of the psychiatric definition is that hallucination substitutes the perceptual field with another that is utterly hallucinatory: it is, in the words of the French psychiatrist Henri Ey, ‘perception without an object to be perceived’ [Traité des Hallucinations, Treatise on Hallucinations, 1973]. However, this substitution implies the negation of the here and now, of the events one is actually perceiving. In my book, I devote a number of pages to this fundamental negativity of hallucination. It is important to add that hallucination is not purely visual, of course, but auditory and verbal: the latter of which the Russian writer Nadezhda Mandelstam, wife of the poet Osip Mandelstam, claimed was the ‘professional malady of poets’ [Hope Against Hope, 1970]. 

MS: Is hallucination dependent on language?

JFC: This is a question that I answer only tangentially in the book. Sigmund Freud defines infancy as being the period before the acquisition of language – the Latin infans meaning ‘without speech’ – yet it is at this stage that hallucinatory experience can be at its strongest. There are, of course, cases in which adults have no recourse to language; for instance, if they suffer from one of the many language-related pathological conditions, the most extreme of which is autism. In my opinion, however, the notion of hallucination in adults who have no access to language is irrelevant, since they have no possibility of putting into words their hallucinatory experience and may subsequently be living in a perpetual state of hallucination. Psychiatry has already identified the phenomenon of people existing in a kind of permanent oeneiric state, but this is not the same thing as dreaming, since when we refer to dreams in the history of the human psyche we mean the spoken or written accounts of dreams. Like the psychiatrists of the 19th century, the Surrealists were very interested in the hypnagogic state, as this place between sleep and wakefulness is an intermediate zone where consciousness and inner vision occur at the same moment, and the temporal fissure between a dream dreamt and a dream recounted no longer exists. There is no gap, just the intermediate space.

MS: Was one of the deciding factors for which artists to profile in your book whether they were considered to be mad?

JFC: I believe that hallucination is a common occurrence, one not limited by definitions of mental illness. There is a sizeable part of my book which deals with the art of the insane, but that’s not what the book is about. Surrealism naturally has a strong presence in the book as well, since it is one of the key moments in history when poets and artists became deeply interested in hallucination. I also touch on the history of Art Brut as put forward by Jean Dubuffet in the wake of Surrealism, but I rather ignore the questions it raises since they are peripheral to my argument. My scope is broader; the narrative starts with William Blake.

MS: Why begin with Blake and end with Polke?

JFC: I could have started with Francisco Goya, who was Blake’s contemporary, and who is also a key figure in the book. Ultimately, however, I decided to start with Blake because I felt I had more original things to say about him, and because he is inextricably both a poet and an artist, which I find very interesting. Although Goya is a great Enlightenment figure, he is not a poet. With Blake, not only are we right on the threshold of the institutionalization of alienism but the question of whether he was actually insane is a matter of continual debate, so I try to respond to this question by building up a profile of Blake.
I decided to end with Polke since – either through allusion or reminiscence – he references all those who punctuate the history of artistic hallucination. Polke claimed to be in telepathic communication both with Blake and with Max Klinger; he was also inspired by Goya, whose works he repeatedly re-interpreted, and he revived and expanded on the spirit of Surrealist collage invented by Max Ernst, as well as being greatly influenced by Joan Miró. In Polke, it’s possible to find a synthesis of the works of most of the artists studied in this book, which made it particularly appropriate to conclude with him.

MS: There is a thread running through the book that considers mysticism and mystical visions as counterbalancing institutionalized religion and the sciences (especially Positivism), all the way from Blake to the psychedelic era of the 1960s, with artists like Bruce Conner and Öyvind Fahlström.

JFC: French psychiatrists were very anti-clerical at the start of the 19th century, as were their hypotheses on hallucination. They were interested in historical figures, such as Joan of Arc or Socrates, who they studied closely with a view to drawing up a psychological portrait. One figure that particularly fascinated them was Saint Teresa of Ávila: they interpreted the written accounts of her visionary activity in terms of hallucination, they could even go as far as depleting her experiences of all religious content and examining them solely on psychophysiological terms. At the same time, many writers – such as the French poet Gérard de Nerval – were championing the visionary. A further level of complication was added by the fact that the visionaries themselves were often reticent about discussing their experiences, in case they were interpreted to be not divine interventions but the work of the devil. 

MS: You use engravings as illustrations throughout the book.

JFC: The 19th century saw the invention of photography but engraving was the medium that originally enabled books to accompany text with images. Engraving allows a visionary activity to enter the realm of illustration.

MS: Of the images used in your book, which ones for you are indispensable?

JFC: The first that springs to mind is Nerval’s La généalogie fantastique[Fantastical Genealogy, 1841].

MS: It’s a hallucinatory interpretation of a family tree.

JFC: Yes. I’m fascinated by the idea that such a vast imaginary field can be contained within such a small surface area.

MS: Odilon Redon is also a paradigmatic artist for you. He began his career in Bordeaux, working as a printmaker and illustrator, and went on to become an incredible colourist. You have continually drawn attention to him as an alternative starting point for, and a major influence on, what subsequently developed in 20th-century art.

JFC: Redon’s legacy in terms of 20th-century art is considerable – he was very important for both Henri Matisse and Marcel Duchamp. Duchamp declared several times that he was more interested in Redon than in Cézanne as a means of distancing himself from Cézannian Cubism. 

MS: You revisit the art history of the 19th and 20th centuries to break up the logic of ‘isms’.

JFC: I think we should get rid of overly schematic categories in order to return to the art works themselves. This is something I learned from my teacher, Jurgis Baltrušaitis, the art historian and son of the eponymous Lithuanian Symbolist poet. Terms such as Fauvism and Cubism came from the press and from critics; although, of course, there are also terms such as Surrealism that would be difficult to dispense with, since they were coined by artists themselves. When I was curating the Mallarmé exhibition, it became clear to me that those two weighty terms of recent historiography, ‘Modernism’ and ‘Postmodernism’, are essentially useless. You can do away with them entirely and still envisage the history of modern art as a continuum – albeit with interruptions and displacements, gaps and anachronisms. The Postmodern rupture simply didn’t take place. Postmodernism as a concept really only has meaning in relation to architecture, and the term Modernism either refers in a socioeconomic context to an overall trend of modernization or to the very particular and plainly volatile definition put forward by Clement Greenberg.

MS: Is there ever a political dimension to hallucination?

JFC: Do you mean in terms of the voluntary hallucinations of Arthur Rimbaud and, before him, Charles Baudelaire? From Rimbaud, you can trace a direct line of articulation all the way to the Surrealists. Rimbaud’s key phrase is: ‘The Poet makes himself a seer by a long, immense and reasoned unsettling of all the senses.’ Every word – long, immense, reasoned – counts; ‘reasoned’ is fundamental. ‘Voluntary hallucination’ is a notion of Baudelaire’s that Rimbaud took up. 

MS: What about Antonin Artaud?

JFC: The problem with Artaud is that his experience is far more violent than that of the other Surrealists. He suffered from a malaise deep within himself and, for him, voluntary hallucination was, above all, the search for a radical alternative to the state of the world at that time. He had intense feelings about how things should be and he suffered because he was disconnected from himself and from the world in a very severe way. Artaud coined the phrase mensonge de l’être – the lie of being – which touches on the raw nerve of hallucination as protest. Protest is a word often used by Artaud and he even went so far as to say that he was born to protest against the ‘lie of being’, by inventing another biography for himself, which brings us back to Nerval’s La généalogie fantastique.

MS: You read Artaud at a very young age and you have written widely on him. Is there a period in his life that most interests you?

JFC: Yes: his later years. In my opinion, he is the greatest postwar artist – on a par with Jackson Pollock, but more interesting. This postwar Artaud re-enacts Nerval’s invented family tree, creating a new personal mythology for himself. This whole field is something I’m going to be exploring as part of the exhibition ‘Artistic Biography’, which I am co-curating with Elia Pijollet at the Reina Sofía. Artaud’s form of protest within hallucination is something you also find in Blake.

MS: You claim that you wrote this book because you didn’t want to have to choose between art and literature, but given the number of pages dedicated to Artaud and to James Joyce, is it possible that literature actually wins out? That art rides on the back of literature and that the images are at the service of the texts? Do you favour literature over art?

JFC: For me, it’s not just about placing artists in relation to writers. It’s about identifying the artists for whom literature is actually important, how an artist might also have been a poet or a writer and, beyond that, how the relationship between art and literature should be seen as a structural one. Hallucination allows one to see precisely how, in Edvard Munch’s work for example, a pictorial structure corresponds to a narrative one. When I draw comparisons between Rimbaud and William Turner they are structural ones; it’s not simply about comparing surface effects. Again, this is something I learned from Baltrušaitis.

MS: In the book, there are many pairings of artists and writers: Franz Kafka with Alfred Kubin, Victor Hugo with Charles Méryon. The comparison between Turner and Rimbaud is especially interesting: Rimbaud tips a flow of words on a page, chasing them around until he finds his form, as though he is working fast to shape hot magma before it cools; similarly, Turner pours paint onto the surface of his watercolour paper and pulls the image out from within this amorphous beginning. Space seems to play a similar role for each.

JFC: I’m not favouring literature over art, but what I do privilege is the narrative as a dimension of the artistic activity, or description. Within the realm of individual mythology, descriptive accounts are spatialized, and this spatialization means that we are no longer within the linear schema associated with literature. Since Mallarmé, there has been a spatialization of writing and, for me, the art of the 20th century largely participates in it, most notably by the gesture traced in space. So, if you like, it’s this narrative dimension, but a spatialized one, that I favour.

MS: Your book, The Year 1967: From Art Objects to Public Things – Or, Variations on the Conquest of Space [1997], which is due to be republished this year, also deals with this concept.

JFC: I would say it’s not literature that I favour, but something between literature and visual art and also the art of performance. Performance is not covered inArtistic Hallucination, but it will form a major part of the next book in the series,Œuvre et activité. You could say that there is a tension within 20th-century art between the constructive dimension and the performative dimension. This tension is really fundamental and to properly perceive it you most likely have to go by way of hallucination.

MS: The images in Artistic Hallucination occur in series, uninterrupted by text, at the beginning of each chapter.

JFC: In my book Walker Evans dans le temps et dans l’histoire [Walker Evans in Time and History, 2010], I have studied in detail how the images are distributed in his 1938 book American Photographs: they are placed in concentrated sequences – it’s practically a palimpsest. You can see a similar approach in the pictorial field of Polke. This play of images – extending the plane, producing a volume – is very important for me.
In Artistic Hallucination, you can see the relationships between the images as working to create a serious debate, but they also operate in a freer way, whereby they could exist without the discourse. When you curate an exhibition, you establish relationships between art works to develop an argument, but these relationships should also develop for themselves, beyond the intentions of the curator. If the audience remains imprisoned by the curator’s thesis, its experience will be diminished.

MS: Your Artistic Hallucination project was originally meant to be an exhibition at the Walker Art Center in Minneapolis but, in the wake of the financial crisis, the project was shelved. Has this perhaps pushed you to make the experience of the book as close as possible to the exhibition that you still hope to organize in the future?

JFC: Yes, the images in this book are not there to illustrate a discourse but should be capable of generating their own discourse, like in an exhibition – all the while acknowledging that the book is not an exhibition.

MS: One little-known artist who struck me as remarkable was Marguerite Burnat-Provins. In response to her hallucinations she created a sophisticated pictorial language that has a compelling trippiness to it, oscillating between an Art Nouveau graphic style and qualities that, although she was working around 1915, feel akin to artists of the psychedelic era of the 1960s, like Bruce Conner.

JFC: Women have been consistently underrated in art history and I am very much a feminist in this regard. The fact that women are not properly represented distorts everything! Dorothea Tanning was a wonderful artist but she has always been underrated because she had the misfortune – and also good fortune, since they were apparently happy together – to live with Max Ernst. Being Ernst’s partner caused her reputation as an artist to suffer. Her installation Hôtel du Pavot, Chambre 202 [Poppy Hotel, Room 202, 1970–3], is a masterpiece of the genre. You can even relate it to Marcel Broodthaers’s idea of décor. Whether it be Kubin or Tanning, the descriptions artists give of their hallucinatory or visionary experiences constitute a kind of matrix or mould out of which they can later produce an art work.

MS: This brings us to the question of subject matter.

JFC: In the 19th century, fine art underwent a huge crisis due to a new push towards realism brought about by the invention of photography, and the rise in the power of the media. At the end of the 19th century and the beginning of the 20th century, artists were faced with an unprecedented freedom: they had to invent new subjects for themselves. This is marvellously apparent in the work of Matisse. Artists searched for inspiration in numerous fields, most notably in so-called primitive art: tribal art forms and the art of children. Subject matter was no longer derived from a repertoire: each artist had to find his own and, through this, a new biographical dimension evolved. This doesn’t mean, of course, that before the 19th century artists only worked outside of their biographies, but from the end of the 19th century they saw the possibility of transforming their own biographies in order to find new subjects.

MS: Does this tie in with hallucination?

JFC: Well, hallucination is perceived to be a form of biographical transformation – Jacques Lacan defined hallucination as a biographical event. However, here again we must return to Nerval, since the notion of individual mythologies was first advanced by the critic Albert Béguin in reference to Nerval’s work, and was then later famously taken up by Harald Szeemann.

MS: There is little about photography in this book but it occupies an important place in your own career and writing.

JFC: I have always been interested in photography because I felt it could cater to the demands of realism whilst unsettling a certain academization in the art of the late 1970s. At that time, I was fed up with some of the formalist debates surrounding painting, particularly in France, and so photography seemed to me to be a tool that allowed contact with the real world. But I never sided with an art form locked within current events or whose objective was focused on the here and now. Theories of Actualism didn’t suit me either, so Mallarmé’s phrase, ‘Ill-informed anyone who would announce himself his own contemporary,’ remains a defining one. You can’t be your own contemporary, and this is also why I challenge the term ‘contemporary art’.

MS: How do you link hallucination to the experience of a work of art?

JFC: For me, the dynamic of what I call ‘modern art’ is made up largely of the tension generated by two contradictory orientations: the demands of the here and now – of reality – and a critical response towards that very here and now. Hallucination is a critique of reality, but one whereby the mind produces the effects of actual perception: your field of vision is replaced by another one that appears as real as the reality it stands in for. This can be interpreted through artistic forms – the ‘reality effect’ of hallucination is also the effect produced by a work of art. In French, in everyday speech, we say c’est hallucinant: it’s the effect that a work of art produces – different from, but as strong as, the experience of actual perception. In terms of my own work, this is the spur.

Mark Sadler is an artist and musician based in Glasgow, UK, and Berlin, Germany. He is co-founder of Fiction House Projects Glasgow/Berlin. In 2001, he was part of the exhibition ‘Des Territoires’, curated by Jean-François Chevrier, at L’École nationale supérieure des Beaux-Arts in Paris, France.

 

 

 

 


Hallucination-Descriptif-L’auteur

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Couv_Hallucination
48 €

LIVRE-AUTEUR

688 pages
189 images (en couleur)
Format : 22×17 cm
Couverture rigide
ISBN : 978-2-9529302-9-1
Date de parution : septembre 2012

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Portrait Jean-François Chevrier
Jean-François Chevrier

Ancien élève de l’École normale supérieure, agrégé de lettres, historien et critique d’art, Jean-François Chevrier enseigne à l’École nationale supérieure des beaux-arts depuis 1988. Fondateur et rédacteur en chef de la revue Photographies (1982-1985), conseiller général pour la Documenta X (1997), il est auteur de nombreux textes sur les échanges entre littérature et arts visuels au XXe siècle, sur l’histoire de la photographie, et sur l’art depuis les années 1960. Il a également publié un essai sur l’historien d’art Jurgis Baltrusaïtis et travaillé sur l’architecture et l’art en milieu urbain. Il a engagé depuis 2005 un dialogue suivi avec les architectes Jacques Herzog et Pierre de Meuron, et travaille actuellement avec leur agence à la muséographie de l’extension du Musée Unterlinden, à Colmar (inauguration prévue fin 2015).
Commissaire indépendant depuis 1987, il a conçu une dizaine d’expositions internationales, accompagnées de livres-catalogues : Une autre objectivité /Another Objectivity (Londres, Paris, Prato, 1988-1989) ; Foto-Kunst (Stuttgart, Nantes, 1989-1990) ; Walker Evans & Dan Graham (Rotterdam, Marseille, Münster, New York, 1992-1994); Öyvind Fahlström (Barcelone, Newcastle, Lucca, Villeurbanne, 2001-2002) ; Art i utopia. L’acció restringida / L’Action restreinte. L’art moderne selon Mallarmé (Barcelone, Nantes, 2004-2005) ; Formas biográficas. Construccíon y mitología individual (musée Reina Sofia, Madrid, novembre 2013-mars 2014), Las biografías de Amos Gitai (musée Reina Sofia, février-mai 2014). Il prépare actuellement un prolongement à l’exposition Formes biographiques. Construction et mythologie individuelle pour le Carré d’art-Musée d’art contemporain de Nîmes (été 2015).
À l’École nationale supérieure des beaux-arts de Paris, le séminaire qu’il anime depuis 1994 a donné lieu, en 2001, à l’exposition Des territoires, accompagnée d’une revue-catalogue (5 numéros, 1999-2001).

Bibliographie

Ouvrages, revues et catalogues
Proust et la photographie, Paris, L’Étoile, 1982 ; repris, suivi de La résurrection de Venise, Paris, L’Arachnéen, 2009.
Robert Doisneau, Paris, Belfond, 1982.
– 8 numéros de la revue Photographies, 1982-1985.
Portrait de Jurgis Baltrusaitis, Paris, Flammarion, 1989.
Photo-Kunst : Arbeiten aus 150 Jahren. Du XXe au XIXe siècle, aller et retour , cat., Stuttgart, Cantz/Staatsgalerie, 1989.
Une autre objectivité/ Another objectivity, cat., Milan, Idea Books, 1989.
Lieux communs figures singulières, cat., Paris, Musée national d’art moderne, 1991.
Walker Evans & Dan Graham, cat., Rotterdam, Witte de With ; Marseille, Musée Cantini ; New York, Whitney Museum of american art, 1992.
L’Any 1967, l’objecte d’art i la cosa publica : O els avatars de la conquesta de l’espai / The Year 1967, from Art Object to Public Things: Variations on the Conquest of Space, Barcelone, Fundacio Antoni Tàpies, 1997.
Des territoires en revue (dir.), n°1-5, Paris, Ensba, 1999-2001.
Patrick Faigenbaum, Paris, Hazan, 2000.
Jeff Wall. Essais et entretiens, 1984-2001 (éd.), Paris, Ensba, 2001.
Le Parti pris du document : littérature, photographie, cinéma et architecture au XXe siècle, Paris, Seuil/EHESS, 2001, Communications, n°71.
Öyvind Fahlström, Another Space For Painting, cat., Barcelone, Museu d’Art Contemporani, 2001.
Paysages territoires. L’Île-de-France comme métaphore, Marseille, Parenthèses, 2002.
Art and utopia. Limited Action, cat., Barcelone, Museu d’Art Contemporani/Actar, 2005.
L’Action restreinte. L’art moderne selon Mallarmé, cat., Paris, Hazan, 2005.
Des faits et des gestes. Le Parti pris du document 2, Paris, Seuil/EHESS, 2006, Communications, n°79.
La Fotografía entre las bellas artes y los medios de comunicación, éd. Jorge Ribalta, Barcelone, Editorial Gustavo Gili, 2006.
Jeff Wall, Paris, Hazan, 2006.
Proust et la photographie suivi de La résurrection de Venise, Paris, L’Arachnéen, 2009.
La trame et le hasard, Paris, L’Arachnéen, 2010.
Entre les beaux-arts et les médias : photographie et art moderne, Paris, L’Arachnéen, 2010.
Walker Evans dans le temps et dans l’histoire, Paris, L’Arachnéen, 2010.
Des territoires, Paris, L’Arachnéen, 2011.
Les relations du corps, Paris, L’Arachnéen, 2011.
L’Hallucination artistique. De William Blake à Sigmar Polke, Paris, L’Arachnéen, 2012.
El año 1967. El objeto de arte y la cosa pública o los avatares de la conquista del espacio / The year 1967. From Art Objects to Public Things, or Variations on the Conquest of Space, avec un prologue de Manuel Borja-Villel, Madrid: Brumaria, 2013.
Jeff Wall, Paris, Hazan, édition corrigée et augmentée, 2013.
Formas biográficas. Construccíon y mitología individual, cat., MNCARS/Ediciones Siruela, 2013

Sélection d’essais, articles et entretiens
– « Proust par Roland Barthes », dans Prétexte : Roland Barthes : colloque de Cerisy, Paris, Union générale d’édition, 1978.
– « Une inquiétante étrangeté » (avec Jean Thibaudeau), dans Le Nouvel Observateur, spécial photo n°3, juin 1978.
– « Note sur Cobble Stone Gardens » (avec Philippe Roussin), dans Cahiers critiques de la littérature, n°5, automne 1978.
– « Bonnard photographe », dans Bonnard, cat., Paris, Musée national d’art moderne, 1984.
– « La photographie dans la culture du paysage… », Paysages photographies. La Mission photographique de la DATAR. Travaux en cours, 1984/1985, Hazan, Paris, 1985.
– « 1947 : le poids de la tradition » et « L’invention de la “photographie créative” et la politique des auteurs », dans L’Art en Europe. Les années décisives 1945-1953, cat., Saint-Étienne, Musée d’art moderne / Genève, Skira, 1987.
– « L’hypothèse généalogique », dans Patrick Faigenbaum, Tableaux romains, Musée d’art contemporain de Nîmes, FRAC Pays de la Loire, 1989.
– « Faces », Galeries Magazine, n°36, avr.-mai 1990.
– « La ruse de l’imaginaire », dans Suzanne Lafont, cat., Paris, Galerie nationale du Jeu de Paume, 1991.
– « La photographie comme modèle : une réévaluation », dans Les Chefs d’œuvre de la photographie dans les collections de l’École des Beaux-Arts, cat., Paris, École nationale supérieure des beaux-arts, 1991.
– « Le tableau et les modèles de l’expérience photographique », dans Qu’est-ce que l’art au 20e siècle ?, Paris, École nationale supérieure des beaux-arts / Jouy-en-Josas, Fondation Cartier, 1992.
– « Lenteur et distinctions », dans Jean-Louis Schoellkopf : « Typologies 1991 », cat., Saint-Étienne, Musée d’art moderne, 1992.
– « Le territoire de Kotzsch », dans August Kotzsch : 1836-1910 : pionier der deutschen Photographie, cat., Stuttgart, Cantz, 1992.
– « Joseph Albers : figures musicales », Galeries Magazine, n°52, déc. 1992-janv. 1993.
– « La Fuente pétrificante », dans Brassaï, cat., Barcelone, Fondacio Antoni Tapies, 1993.
– « O protagonista / The protagonist », dans Michelangelo Pistoletto e la fotografia, cat., Porto, Fundaçao de Serralves ; Rotterdam, Witte de With, 1993.
– « Reprise », dans Witte de With : cahier #1, cat., Düsseldorf, Richter Verlag, 1993.
– « Les choses, le corps », dans Patrick Tosani, cat., Paris, Musée d’art moderne, 1993.
– « L’artiste comme consommateur », dans Jean-Luc Moulène : figures de passage, cat., Poitiers, Le Confort moderne, 1994.
– « Les relations du corps », dans Raoul Hausmann, cat., Saint-Étienne, Musée d’art moderne ; Rochechouart, Musée départemental, 1994.
– « Play, drama, enigma = Jeu, drame, énigme », dans Jeff Wall, cat., Paris, Ed. du Jeu de Paume, 1995.
– « Un territoire imaginaire », dans Félix Thiollier photographe, cat., Saint-Étienne, Musée d’art moderne, 1995.
– « The Life of Forms : Fragmentation and Montage », dans A Self-Portrait, John Coplans, 1984-1997, cat., New-York, PS1 Contemporary Art Center, 1997.
– « The Spiral : Artaud’s Return to Poetry », dans Politics-Poetics: Documenta X – the book, Ostfildern-Ruit, Cantz, 1997.
– Entretiens avec Étienne Balibar, Andrea Branzi, Benjamin Buchloh, Jacques Rancière et Gayatri Spivak, dans Politics-Poetics. Documenta X – the Book, Ostfildern-Ruit, Cantz, 1997.
– « Activité artistique et interprétation de l’histoire » et « Mondialisation de l’économie et situations urbaines » (entretien avec Jean-Christophe Royoux), dans Omnibus / DocumentaX XS4ALL, hors série, oct. 1997.
– « Mobilité urbaine et théâtre métropolitain », Les Cahiers de la recherche architecturale, n°41, 1997.
– « L’art comme réinvention d’une forme politique urbaine / Art as the Reinvention of an Urban Political Form », dans Melvin Charney, parcours. De la réinvention / About Reinvention, Caen, Frac Basse-Normandie, 1998.
– « L’histoire de Bernd et Hilla Becher », Pratiques. Réflexions sur l’art, n°5, printemps 1998.
– « Between the Fine Arts and the Media (the German Example : Gerhard Richter) », dans Photography and Painting in the Work of Gerhard Richter : Four Essays on Atlas, Barcelone, Museu d’art contemporani, 1999 ; repris en italien dans Gerhard Richter, Prato, Gli Ori, 1999.
– « Salgado ou l’exploitation de la compassion », Le Monde, 19 avril 2000.
– « Walker Evans, American Photographs et la question du sujet », Communications, n°71 : « Le Parti pris du document », Paris, Seuil, 2001.
– « Un autre espace pour la peinture : lyrisme concret et pensée géopolitique », dans Öyvind Fahlström, cat., Villeurbanne, Institut d’art contemporain, 2002.
– Entretien avec Juan Vicente Aliaga et José Miguel Cortès, Micropolíticas. Arte y cotidianidad / Art and Everyday Life, 2001-1968, cat., éd. Juan Vicente Aliaga, María De Corral, José Miguel G. Cortés, Espai d’Art Contemporani de Castelló, Valenciana, 2002.
– « Partages de l’art », dans Dictionnaire des utopies, Paris, Larousse, 2002.
– « The Spectres of the Everyday », dans Jeff Wall, Londres, Phaïdon, 2002, 2006.
– « Esquiver le design », dans Art et philosophie, ville et architecture, Paris, La Découverte, 2003.
– « La boîte de musiques », dans Anne-Marie Schneider : fragile incassable, cat., Paris, Musée d’art moderne, 2003.
– « Lettre à Jean-Louis Comolli. À propos de l’Affaire Sofri », Trafic, n°48, hiver 2003.
– « Visages-paysages », dans Helmar Lerski : métamorphoses par la lumière, cat., Strasbourg, Les Musées de Strasbourg, 2003.
– Entretien avec Martine Dancer et Dirk Snauwaert, dans La Photographie en dialogues / Dialoguizing Photography, Saint-Étienne, Musée d’art moderne ; Villeurbanne, IAC / FRAC Rhône-Alpes, 2005.
– « The Metamorphosis of Place », dans Jeff Wall. Catalogue raisonné, 1978-2004, Bâle, Steidl/Schaulager, 2005.
– « Changement de dimensions. Entretien avec Rem Koolhaas » (1998), L’Architecture d’aujourd’hui, n°361 : « OMA, projets récents », déc. 2005.
– « Les parages du regard », dans Marina Ballo Charmet. Primo Campo, Cherbourg, Le Point du Jour, 2004 ; augmenté dans Marina Ballo Charmet. Fotografie e video, 1993-2006, Milan, Mondadori Electa, 2006.
– « Monument et intimité » et « Entretien avec Jacques Herzog », dans El Croquis (Madrid), n°129-130 : « Herzog & de Meuron, 2002-2006 », mai 2006.
– « Le modèle théâtral. Mallarmé et l’hallucination négative », dans L’Action restreinte. L’art moderne selon Mallarmé. Conférences, Nantes, Musée des beaux-arts, 2006.
– « La vérité de l’hallucination contre le “mensonge de l’être” », dans Antonin Artaud, cat., Paris, Bibliothèque nationale de France / Gallimard, 2006.
– « L’image-objet et le modèle de la nature », The 80’s : A Topology, cat., ed. Ulrich Loock, Porto, Fundação Serralves, 2006.
– « The Tableau and the Document of Experience », dans Click/Double-Click. Das dokumentarische Moment, cat., Cologne, Walter König, 2006 ; repris sous le titre « Le tableau et le document d’expérience » dans Communications, n°79 : « Des faits et des gestes », Paris, Seuil/EHESS, 2006.
– Entretien par Jorge Ribalta, dans La Fotografía entre las bellas artes y los medios de comunicación, Barcelone, Editorial Gustavo Gili, 2006.
– « Photogénie urbaine », dans Spectacular City, cat., Rotterdam, NAi Publishers, 2006.
– « Ahlam Shibli, Trackers : un document d’expérience », dans Ahlam Shibli. Trackers, Cologne, Walter König, 2007.
– « Ressemblance et transformation », dans Barcelona 1978-1997. Manolo Laguillo, cat., Barcelone, Macba, 2007.
– « L’action restreinte selon Sophie Taeuber », dans Sophie Taeuber. Rythmes plastiques, réalités architecturales, cat., Clamart, Fondation Arp, 2007.
– « La nostalgie des salons et la picturalité diffuse de la vie moderne », Domus, n°898, décembre 2006.
– « Variété pittoresque et diversité anthropologique », Domus, n°899, janvier 2007.
– « La mémoire des formes », Domus, n°900, février 2007.
– « At land », Domus, n°901, mars 2007.
– « L’image, mot-nébuleuse », dans Fernand Deligny, Œuvres, Paris, L’Arachnéen, 2007.
– « Le principe d’actualité », dans Sobre la Historia / On History, cat., Fundación Santander Central Hispano, 2007.
– « Une ville, un livre », dans Patrick Faigenbaum. Tulle, Cherbourg, Le Point du Jour, 2007.
– « L’élément du temps », dans Ugo Mulas. La scena dell’arte, cat., Milan, Electa, 2007.
– « Patrick Faigenbaum. Photographies, 1973-2006 », dans Patrick Faigenbaum. Fotografias, 1973-2006, cat., Lisbonne, Fundação Calouste Gulbenkian, 2007.
– « Andreas Feininger, photographe-anatomiste », dans Andreas Feininger, 1906-1999, cat., Madrid, Fundación Juan March, 2008.
– « A global playground », dans Peter Friedl. Playgrounds, Göttingen, Steidl, 2008.
– « Le lieu narcissique et la conquête de l’espace », dans PhotoEspaña 2008, cat., Madrid, 2008.
– « Un dialogue ? », dans Walker Evans / Henri Cartier-Bresson. Photographier l’Amérique (1929-1947), cat., Paris, Fondation Henri Cartier-Bresson ; Göttingen, Steidl, 2008.
– « Un livre, un pays », dans Patrick Faigenbaum. Santulussurgiu, Paris, Éditions Xavier Barral, 2008.
– « L’image possible », dans Marc Pataut, Toujours ou jamais, Paris, Éditions du Panama, 2008.
– « Des territoires » dans L’Art, le territoire. Art, espace public, urbain, éd. Veduta-Biennale de Lyon, Paris, Centre d’Études sur les réseaux, les transports, l’urbanisme et les constructions publiques, 2008. (Cet ouvrage collectif contient les actes du colloque « L’art, le territoire et réciproquement », organisé par Veduta-Biennale de Lyon et l’École des beaux-arts de Lyon en décembre 2007.)
– « Imago. Patrick Faigenbaum », dans Images d’un renouvellement urbain. Artistes accueillis en résidence à Cherbourg-Octeville, Cherbourg, Le Point du Jour, 2008.
– « Jeff Wall. Le génie du lieu ou l’intérieur de la vue », dans Cézanne and Beyond, cat., Philadelphia Museum of Art, 2009.
– « Une sirène », dans Mikael Levin, Cristina’s History, Cherbourg, Le Point du Jour, 2009.
– « Sans récompenses », dans Vides. Une rétrospective, cat., Paris, Éditions du Centre Georges Pompidou, 2009. Édition en anglais : Voids. A Retrospective, cat., Zurich, JRP Ringier, 2009.
– « Le silence du quotidien. Patrick Faigenbaum, photographies, 1974-2008 », dans The Everyday. PhotoEspaña 2009, Madrid, La Fabrica, 2009.
– « Du métier à l’œuvre », dans Robert Doisneau. Du métier à l’œuvre, cat., Paris, Fondation Henri Cartier-Bresson / Göttingen, Steidl, 2010.
– « Un monde sans ironie », dans Robert Adams. Hasselblad Award 2009, Hasselblad Foundation, 2010.
– « Le regard divisé », dans Maxence Rifflet, Une route, un chemin. Sur la côte ouest de la Manche suivi de Boucles de la Seine, Paris/Cherbourg, Le Point du jour, 2010.
– « Sans récompense », dans Vides : une rétrospective, Zürich, JRP/Ringier / Paris, Centre Pompidou, 2009.
– « (SF)G », dans George Dupin, SF, Paris, Trans Photographic Press, 2011.
– « Portrait, regard, image du peuple », dans Marc Pataut, Humaine, Cherbourg-Octeville, Le Point du jour, 2012.
– « Le Grand écart », dans Yves Belorgey : anthropologie dans l’espace, Genève, Mamco / Paris, CNAP, 2013.