Œuvres-Descriptif-Extraits-Ce qui ne se voit pas

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45 €

LIVRE-AUTEUR

1856 pages
(dont 424 de facsimilés)
557 images
Format : 16,7 x 21,6 cm
Reliure souple
ISBN : 978-2-37367-012-7
Date de parution : 14 nov. 2017
(1re éd. 2007)

Édition établie et présentée par
Sandra Alvarez de Toledo

Avec des textes de Michel Chauvière,
Annick Ohayon, Anne Querrien, Bertrand Ogilvie,
Jean-François Chevrier

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Extraits
Ce qui ne se voit pas (1982 – 1993)
ce qui ne se voit pas
« Nous sommes hantés par un peuple d’images. »
 

 

  • Contes du vieux soldat et de belle lurette (conte, 1982)

En une série d’« enluminures », Deligny raconte les aventures du vieux soldat qui, après avoir traversé l’histoire et les guerres, parcourt le pays à la recherche de sa ville natale et de son emploi réservé. Il est sans le savoir l’artisan de la révolution qui débarrassera la ville de la tyrannie et rétablira la gouverne du hasard.

«[…] Sur une enluminure, on voit la cité, mais on la voit de haut ; c’est ainsi que doit la voir la Maritorne de fer forgé à la proue de la galère. On voit donc les rues étroites et tortueuses qui se rejoignent, se séparent, se recoupent. Comme d’habitude, quand ils se croisent, ils se parlent et se racontent les menus événements, et chacun pense que l’autre ne lui a pas tout dit, alors chacun pense : « Qu’est-ce qu’il ne me dit pas ? Il y a quelque chose qu’il ne m’a pas dit… mais allez savoir quoi ? »

C’est que, d’habitude, les gens se racontaient qui avait été pendu la veille ; et, depuis des jours et des jours, plus de nouvelles des pendus de la veille.

Comme d’habitude, les gens s’abordaient et se disaient :

– Alors… Quoi de neuf ?

Et la réponse était :

– Ben pas grand’chose et même rien du tout…

Celui qui avait la gouverne de la cité était assis derrière son bureau. Celui qui entrait dans la pièce du gouvernement voyait quelque chose qui ressemblait à un œuf d’autruche qui aurait été posé sur l’épaisse planche de chêne ; cet œuf d’autruche avait deux petits yeux bouffis qui s’ouvraient, se refermaient, s’ouvraient encore…

Rares étaient ceux qui pénétraient dans cette pièce ; le vieux soldat était un de ceux-là ; quand il avait terminé ses trajets de nuit et avant de rentrer dans son logement, il devait faire un détour par le bureau et se planter un instant devant l’œuf d’autruche dont quelques mots filtraient comme à regret :

– Alors… Bérésina… ?

Le cérémonial durait depuis belle lurette et le vieux soldat ne savait toujours pas d’où venait le regret ; d’en dire tant ou de ne pas en dire plus ?

Les petits yeux bouffis regardaient le boulet qui était de garde à deux pas de la jambe de bois.

– Content de votre sort… ?

Et, à chaque fois, le vieux soldat pensait que la voix s’adressait au boulet qui restait pantois et ne faisait que ruminer ce que les pavés racontent : du temps de la grande Maritorne, il aurait été boule et libre de jouer des parties qui n’en finissaient pas, la girouette indiquant, à chaque saute de vent, la boule gouverne, ce qui bouleversait à chaque fois le jeu et la foule alors poussait des grands cris ; la rumeur de la ville n’était qu’éclats de joie et rires et quolibets.

Il y avait, comme chaque jour, cavalcade et un étranger petit, replet, vêtu comme un marchand, avait passé le pont-levis qui menait à la plus petite poterne ; il avait pris une rue, sans doute au hasard puisqu’il ne connaissait pas la cité et il est fort probable que la boule-gouverne d’alors qui bondissait et rebondissait avec les autres boules à ses trousses avait fracassé la tête du petit étranger replet.

La foule avait crié :

– Il a attrapé la gouverne en pleine tête…

Or c’était un étranger ; il était donc loin des siens s’il en avait. Mûs par un certain sens de l’hospitalité, quelques habitants de la cité l’ont ramassé et, alors qu’ils le portaient à l’écart de la bouleverse, ils se sont aperçus qu’il parlait encore, ce qui était fort étonnant étant donné l’aspect de son crâne éclaté en plusieurs morceaux tout à fait disjoints. […]»

 

  • Acheminement vers l’image (essai, 1982)

À l’image-communication, soumise aux impératifs de la technique et de la production, Deligny oppose une image non intentionnelle, « qui ne dit rien », une image perdue et retrouvée à la faveur de coïncidences, analogue à celle qui suscite l’agir de l’autiste.

«[…] Or, et c’est ce que je dis au preneur d’images, je ne vois aucune différence entre les oies et les images. S’agit-il de les prendre ? Une oie prise n’est plus une oie ; c’est un volatile éventuellement comestible et domesticable à souhait, quitte à en perdre son aspect et sa vigueur. Il est fort courant qu’on les engraisse, quitte à entonner la nourriture de force. L’homme que nous sommes a une habitude fort ancienne de cette pratique qui est torture. Il n’y a aucune raison de penser que les images soient quittes de cette pratique qui affuble l’espèce domestiquée de caractéristiques que nous connaissons bien à voir les animaux familiers. Pour les oies, il s’agit de les entonner et cet infinitif est le même quand il s’agit de commencer un chant. Ceci dit, il est vrai que les images sont chargées d’être significatives, chargées c’est peu dire, surchargées, gavées de signification et alors elles se traînent, lourdes de sens, grasses de symbole, saturées des intentions grossièrement allusives qui passent, comme on dit, sur l’écran. Elles en sont malades, ce dont tout un chacun se réjouit d’avance. Que passe dans le ciel un vol d’oies sauvages et les oies qui se traînent battent des ailes et tendent le cou, désespérément, hantées par une frénésie fugace.

[…] Dans les remparts de Lille-en-Flandres il y avait un terril d’immondices escaladé par les tombereaux de la voirie municipale, deux forts chevaux de race flamande accrochés en flèche à chaque tombereau plein à ras-bord. Arrivé à la cime, le tombereau basculait vers l’arrière de par le fait que le charretier, tout en jurant sans doute, après avoir tiré à lui une goupille, montait tout debout à l’arrière et son poids, en surplus, suffisait à faire basculer la benne, le charretier s’écartant d’un coup de reins de matador. Tout le contenu du tombereau dévalait alors la pente abrupte du tumulus où quelques vieux et vieilles de l’hospice voisin, immobiles, contemplaient l’avalanche, un sac béant tenu à bout de bras. Ce tableau m’était familier, lorsqu’un jour, deux ou trois enfants sont venus s’y ajouter, pris dans l’avalanche qui devait les surprendre ; la plus petite des trois était une gamine qui devait avoir cinq ans ; elle avait de longs cheveux blonds sur les épaules et dans le dos ; elle s’est penchée pour agripper au passage une suspension inimaginable si on n’a pas vu ces coupoles de verre opaque entourées de pendeloques de perles de verre et surmontées d’une double torsade dorée ; cette couronne d’impératrice de l’univers, la gamine se l’est mise sur la tête et, les bras en balancier et le talon circonspect, elle s’est mise à descendre dans les fumerolles du feu caché qui rongeait sans cesse les immondices. Sur la crête, derrière elle, en silhouette sur le ciel, trois chevaux l’un derrière l’autre. […]

Il en est de l’image comme il en est du prochain en train de disparaître ; il est perdu. L’image est toujours sur le point de se perdre et, pour qu’elle ne se perde pas, c’est se qu’il faut perdre et ce se n’est pas vous-même, votre vie, votre existence. C’est se, tout simplement, cette lubie, point focal du mirage, le se qui nous fait dire que l’image ne se voit pas. Visible, elle le serait, mais de , du là d’être – à l’infinitif.

Et alors, comment voulez-vous mettre la caméra  alors que vous y êtes, ici ?

Grâce à l’échafaudage, tout simplement. Échafaudage ; vous y voyez quelque construction qui va s’élevant vers le ciel ; or, il s’agit du , du là-d’être. L’Algonquin, au là-haut, n’y pense pas ; il y a toujours – depuis des millénaires et sans doute dès avant la période glaciaire – vécu ici-, qui n’est pas « bas » pour autant ; penser ici-bas n’est possible qu’à partir de-haut, et réciproquement.

À partir du moment où il n’y a ni haut, ni bas, reste le  d’où l’image peut être re-cueillie ; ce qu’il faut alors échafauder s’élabore sur le plan horizontal, à ras-de-terre pour ainsi dire, sur le ras de la terre, et camérer de  est alors possible, la caméra posée -bas tout comme elle serait là-haut s’il s’agissait de la lanterne d’un phare.

Si je descends d’où que ce soit, c’est des Ardennes qu’il s’agit, et il se pourrait fort bien que l’Algonquin, dans l’antan, y ait vécu, dans les Ardennes ; ce là-bas s’y prête fort bien à la présence d’une compagniealgonquine, ni esclave, ni conquérante, vivant  et voilà tout, ce  n’étant ni bas, ni haut, ni, à vrai dire, ailleurs. Et c’est la compagnie que vous avez oubliée, car pour tant faire que d’être-là encore faut-il y être de compagnie ; où disparaît le « il » – cet « il » que je suis et à partir de quoi s’il est ici, ilne peut être là.

L’image, voyez-vous, n’est ni quelqu’une, ni quelque chose. Elle est « mouvement », kinéma, mouvement qui, à vrai dire, ne se voit pas, qui n’est que d’être créé par qui voit les images immobiles se succéder. […]» 

 

  • « Camérer » (article, 1983)

« Camérer » plutôt que filmer : l’outil et l’activité de préférence à l’objet fini. Deligny reprend l’idée d’images-copeaux, perdues, inscrites sans avoir été enregistrées dans la mémoire des formes.

 

  • À propos d’un film à faire (film, 1989) 

Deligny adresse à Renaud Victor, le « preneur d’images », ses dernières remarques sur les rapports entre l’image et le langage. Selon un dispositif qui rappelle celui du Camion de Marguerite Duras, ses propos sont entrecoupés de scènes imaginaires d’un « film à faire ». 

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  • L’Enfant de citadelle (autobiographie, 1988-1993)

En 1988, Deligny entreprend le récit de L’Enfant de citadelle, dont il existe 26 versions (plus de 2000 pages), toutes recommencées au jour de sa naissance.