Akerman-Descriptif-vol3

Haut

En librairie le 5 avril

69€ les 3 volumes
prix de lancement : 59€

Pour un envoi postal (commandé via notre site),
une participation aux frais de port de 6 euros
est automatiquement appliquée. Cela implique
un délai de livraison normal en France,
de 1 à 3 semaines en Europe,
et 3 à 10 semaines pour le reste du monde.
Pour un envoi rapide hors France,
merci de prendre contact avec nous.

3 volumes réunis dans un coffret
1584 pages, 250 images
format : 23 x 17 cm
couverture souples

ci-dessus :
vol. 3 : édition établie par Cyril Béghin : présentation,
notices, chronologie, films, installations, livres,
textes et entretiens, 192 pages
ISBN : 978-2-37367-022-6

Publié en partenariat avec la Fondation Chantal Akerman / Cinematek,
et avec le soutien du Centre national du livre, du Centre national du cinéma
et de l’image animée, de la Région Ile-de-France et de Radio France.

croix-fermer
Chantal Akerman
Œuvre écrite et parlée

édition établie par Cyril Béghin

 

Cyril Béghin écrit sur le cinéma pour des revues, catalogues et ouvrages collectifs. Il a été rédacteur aux Cahiers du cinéma de 2004 à 2020 et membre de son comité de rédaction de 2009 à 2020. Il a dirigé l’édition des Dialogues de Marguerite Duras et Jean-Luc Godard (Post-éditions, 2014) et de Notes de la forteresse de Robert Kramer (Post-éditions, 2019). Il a codirigé de 2003 à 2013 les ouvrages monographiques édités par le Magic Cinéma (Bobigny), et notamment celui consacré à Chantal Akerman, à propos de laquelle il a publié de nombreux textes et entretiens dans des revues et des catalogues.
Passages de la parole (extrait de la présentation)

Pourquoi faire un livre, quand on écrit ? En 1974, dans Je tu il elle, son premier long métrage, Chantal Akerman joue elle-même une jeune femme qui, d’abord enfermée seule dans une maison, y passe de longues journées à écrire des lettres sur des feuilles dispersées. L’un des plans séquences du film la montre aligner ces pages en plusieurs rangées par terre et en punaiser quelques-unes sur le parquet avant de s’allonger sur un matelas derrière elle. Voilà composé un livre minimal et expérimental, où l’écrit inégalement fixé forme un sol à partir duquel il est possible de partir, comme la jeune femme va le faire bientôt. « […] j’ai punaisé consciencieusement chaque page sur le sol, j’ai eu un tapis où mes pieds aimaient se frotter. » Il faut donc que la lettre soit figée pour qu’un départ soit possible. « Et je suis partie » sont les premières paroles dites off dans le film, et les premiers mots du texte qui lui a servi de scénario.

Pourquoi faire un livre, quand on écrit ? Chez Chantal Akerman, il semble que ce qui est écrit peut aussi bien se dire, s’envoyer, se perdre, devenir un film, se projeter, se jouer, et tant d’autres possibilités encore. Mais le livre n’entrerait dans cette grande variation qu’à une sorte de condition tacite et contradictoire, qui le rapprocherait du cinéma. Au détour d’un bref paragraphe du dernier récit publié par Akerman, Ma mère rit, la narratrice raconte comment, après avoir lu des livres, elle les pose « à l’arrêt de bus pour que quelqu’un d’autre les lise. […] Et les livres disparaissaient », de même que le regard ne retient pas un film, dans le moment même où il le partage avec d’autres regards. C’est toujours autre chose que l’on retient. « Je me suis dit un jour que je devrais me poster en face de l’arrêt de bus pour voir qui prenait les livres, qui s’intéressait à ces livres mais je ne l’ai jamais fait. »
Pas de possession ni de bibliothèque, aucune résidence stable du texte. La disparition à l’arrêt de bus esquisse l’imagination d’une circulation ouverte et anonyme, d’une échappée sans retour. Il y a là sans doute une morale générale : les œuvres ne se capitalisent pas. Pourtant le livre aurait un privilège. Est-ce qu’en s’y fixant l’écrit ne se libère pas, est-ce qu’il n’entrerait pas ainsi dans une forme de nomadisme symbolique, aussi triviales et fragiles en soient les apparences ? En un raccourci fulgurant, l’anecdote de Ma mère rit rappelle des intuitions plus complexes qu’Akerman exprime pour la première fois en 1998 dans un projet de documentaire sur le Moyen-Orient : « la terre qu’on traverse et qu’on ne prend pas fait penser au livre ». Elle le répète dans un entretien de 2011 : « le livre peut être une terre sans sang ». Ces formules, qui empruntent à Edmond Jabès et à Maurice Blanchot, renvoient à l’histoire et à la culture du « peuple du Livre » dont Akerman, de famille juive polonaise, était issue : « j’ai plus d’admiration quand même pour les écrivains [que pour les cinéastes], mais bon c’est sans doute lié à la fois à des choses d’enfance, et à la fois, bien que je ne sois pas religieuse, quelque chose qui est lié à ça, puisqu’il y a le premier Livre, enfin, il y a la Bible ». L’idée est aussi élémentaire qu’hermétique : les livres n’appartiennent à personne. Ou bien, dans les termes de l’exégèse juive, « l’histoire du livre est l’histoire de son effacement. […] Effacement particulier qui n’est pas nécessairement effacement du texte puisque – paradoxe – cet effacement a lieu par l’ajout de paroles, de textes supplémentaires. Il y a plutôt effacement de la maîtrise du discours, de la violence portée par le discours. » Ainsi le livre peut-il être une terre qu’on traverse et qu’on ne prend pas.

[…]