Haut

Furia, par Violette Astier

À qui veut…

Le 03/12/18, par Violette Astier.

À propos de FÚRIA, mis en scène par Lia Rodrigues, dansé et créé en étroite collaboration par : Leonardo Nunes, Felipe Vian, Clara Cavalcanti, Carolina Repetto, Valentina Fittipaldi, Andrey Silva, Karoll Silva, Larissa Lima, Ricardo Xavier (théâtre national de Chaillot, 30 nov.-7 déc.)

GOYA_Los_DesastresdelaGuerra_N39_Grande_hazaña_con_muertos

Francisco de Goya, Los Desastres de la Guerra, n°39, Grande hazaña! con muertos!, 1810-1815. Gouache, gravure, pointe sèche sur papier, 15,6 x 20,8 cm, Museo del Prado.

 

« Ce qui s’est produit hier soir au théâtre Chaillot n’était pas un spectacle de danse mais la mise en corps du cortège de l’immondice, le grand retour des reines noires assassinées, poudrées et parées pour la vengeance.

Le sol est vivant. Dans le sillage d’un porteur de drapeau (GREVE), un gros tas d’ordures amoncelées dans un coin de l’espace, s’anime, et amorce une lente ascension cassée. Des groupes et des êtres se distinguent, ils se remettent d’une violente cuite.

Une rumeur croissante, approche la troupe invisible des chevaux décapités et contremaîtres stériles, bruits sourds de sabots claquant au sol et claquements de langue, cadence du travail esclave. OCO CAVALO LOCO. On les entend parcourir les vastes terres volées. Le son de la cavalcade ne cessera plus de rythmer la longue succession des apparitions nocturnes.

Un clochard, les yeux rivés au sol, traîne à ses pieds un gros nuage échoué. Somptueuse, une petite tour de manège rouge le précède. C’est là qu’il commence à prendre forme le vilain cortège. La gaité féroce illumine de l’intérieur ces figures naissantes. Sur le visage d’une petite diablesse se fige l’affreux rictus moqueur : yeux écarquillés sans pupilles, touffe de cheveux noirs rugueux, de nature BOMBRIL pour vous ripper la face. Les globes oculaires sont des dents et le féminin de GOYA est GOIABA. Il est venu ici pour partager sa haine le vieux maître sourd (avec les couleurs de sa jeunesse).

Il n’y a ni danse ni danseurs, Béatrice est une multitude noire.

Les visions se succèdent : sexes béants, viols, supplices. Méthodiques, jouissives et répétées mises à mort : QUI A TUÉ MARIELLE FRANCO ? disent chacun de ces gestes.

ALE C. TO TI SIPH ONÉ MÉG È RE, roulent leurs yeux diaboliques, fières furies à dos de mulets, tour à tour dominatrices et suppliciées. Cirque magnifique et violent d’enfants furieux. Chairs rousses, culs cambrés, têtes chevalines, danse de tables de cuisine et cuisses peintes pour Ku Klux Kan Kan. Antéros aux seins bleus. Les dents de dragons sont des pétards qui explosent joyeusement sur le sol stérile. Passe Sa Majesté, femme de manège à la couronne-balai, sur son valet de chambre, porteur indigne ; puis un petit général qui empoigne sa jument par les cheveux. Un homme pris dans un filet s’agite désespérément, le piège est l’aura de son âme prisonnière.
Les cercles de l’enfer, les bracelets à la cheville du prostitué en transe. La Ménine torse nue, dans une robe d’apparat noire en sac poubelle, tourne et tourne, hautaine, autour des corps malades d’inquiétude, pris de folie, ne pouvant plus s’arrêter de vibrer, de trembler :

QUI A TUÉ MARIELLE FRANCO ?

Plus vous nous écraserez et plus nos corps renaîtront forts beaux luisants. Nous sommes tenaces et immortels comme la race des cafards et des comètes.

Tout s’incorpore, tout se digère et même la haine abjecte de l’ennemi. Nous nous transformerons pour l’accueillir. Nous nous referons encore et encore et avec nous la terre.

La ménine fait sa ronde autour du vide, on n’entend plus que le frottement de la robe royale contre le sol.

Silence maintenant pour un suicidé. Il est sa propre potence, Francisco de Golado. Le noir sans visage invente une langue entre deux morts, la crache, langue rapiécée de trous badours, vulgaire et majestueuse. »