Janmari-Descriptif-Extraits

Haut
Couv_Janmari
32 €

Livres-apparentes

200 pages
194 pages de fac-similé
Format : 28×21,5 cm
ISBN : 978-2-9541059-2-5
Date de parution : 11 avril 2013

Texte de présentation bilingue
(français-anglais)

croix-fermer
Journal de Janmari
novembre 2001-mai 2002


Télécharger quelques doubles-pages intérieures.

Janmari, enfant autiste, mutique, est confié à Fernand Deligny en 1967. Il a douze ans. Il meurt en juin 2002, après avoir vécu trente-cinq ans dans le réseau de prise en charge fondé par Deligny à Monoblet, dans les Cévennes. Dès les premiers temps, Deligny propose à Janmari des feuilles et des crayons : celui-ci trace des lignes brisées, puis des cercles, immuablement. Les séances de tracerdeviennent régulières. Le film de Renaud Victor, Ce Gamin, là, montre Janmari devant un chevalet, traçant vaguelettes et cercles sur de grandes feuilles. 

Gisèle Durand, comme Jacques Lin et d’autres éducateurs non professionnels, vit avec les enfants autistes depuis la création du réseau. En novembre 2001, elle propose à Janmari de tracer sur un carnet à dessin. Jusqu’en mai 2002, ils se retrouvent trois à quatre fois par semaine dans son atelier. 

 

« Le carnet était posé à plat sur la table, ouvert à la page. Je tendais un stylo à bille ou un feutre à Janmari et il commençait une série de vaguelettes ou de cercles. Selon l’endroit où je lui tendais le stylo, il commençait par la page de gauche ou par celle de droite. Je le lui tendais le plus souvent au-dessus de la page de droite. Une fois arrivé dans le bas, il tournait la page de lui-même et continuait sur la page de droite suivante, et ainsi de suite. (Il traçait de la main droite. Il lui arrivait d’utiliser la main gauche, il commençait alors au milieu de la page.) À cette époque il se fatiguait vite, et il lui arrivait de s’arrêter avant la fin de la première page.

Lorsque je traçais une ligne verticale, de haut en bas, Janmari complétait le rectangle en traçant de lui-même les trois autres côtés. Bientôt, je n’avais plus besoin de faire de trait sur la feuille, je ne faisais plus que le geste, en l’air, et il traçait les quatre côtés. Puis il posait le stylo ; je le lui tendais à nouveau et il remplissait le cadre de petits cercles ou de vaguelettes. Nous faisions les « grilles » à deux. J’amorçais en l’air le geste du trait vertical de gauche, Janmari traçait le cadre puis reposait le stylo ; je faisais en l’air le geste du deuxième trait vertical, il le traçait et alignait les autres. Il reposait le stylo avant de reprendre les cercles, de haut en bas, et en respectant les séparations par les traits verticaux. 

Je cherchais à diversifier les formes. Lorsqu’il commençait une série de vaguelettes ou de cercles, il m’arrivait de prendre un morceau de graphite et de le poser à plat sur la feuille : Janmari le prenait et traçait un rectangle. Il reposait le graphite, et je lui tendais cette fois le stylo en faisant un claquement de langue : il y réagissait aussitôt en reprenant les cercles (ou les vaguelettes) et en remplissant le rectangle sans dépasser les limites du cadre. Pour ce qui est du cercle en graphite, il fallait souvent que je l’amorce, en l’air. Mais pas toujours : Janmari pouvait le tracer lui-même entièrement. 

Le claquement de langue pouvait le faire passer d’un signe à l’autre ; c’est ainsi qu’un jour où il traçait des cercles, j’ai produit ce son et il s’est interrompu pour tracer des vaguelettes jusqu’à l’extrémité droite de la feuille ; puis il a repris les cercles, à gauche, et j’ai refait le son et il a fait des vaguelettes. Au bout d’un moment, il a intégré ce rythme et il a de lui-même enchaîné – parfois avec une certaine peine – cercles et vaguelettes, qui ont fini par former deux colonnes. 

Quand il avait achevé une page, il m’arrivait de lui tendre un crayon de couleur : il coloriait les cercles, en commençant et terminant où et quand bon lui semblait. Un jour, je l’ai interrompu alors qu’il traçait des cercles ; j’ai tracé des bandes de couleurs et il a continué les cercles en respectant la délimitation des bandes. Il mettait environ dix minutes ou un quart d’heure à remplir la page. Pendant ce temps, j’allais dessiner un peu plus loin dans l’atelier. Une fois arrivé en bas de la page, il continuait ou attendait que je revienne. Il traçait assis ; mais la position assise lui faisait mal (il était malade à la fin de sa vie) et il s’est mis debout, vers le mois d’avril. Il traçait plus lentement, ses cercles et ses vaguelettes sont devenus plus irréguliers, il perdait de la force. Il est mort un mois après avoir tracé la dernière page. » 

Gisèle Durand, décembre 2012

(Tous droits réservés)